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Espace Livres : Au-delà d’une caisse… un corps social


L’Afrique et le défi de l’extension de la sécurité sociale : l’ouvrage de 212 pages – que l’auteur appelle modestement " document " (p. 139) - n’est pas un Traité de Sécurité sociale.
Par Charly Gabriel Mbock*

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Loin des postures d’amphithéâtre, et dès sa dédicace, Louis Paul Motaze y exprime un souci de partage né de " l’éthique de solidarité " dont ses parents l’auront nourri sur le principe " qu’il n’est de bonheur que partagé ". Les grandes injustices suscitant de grands questionnements dans certains grands cœurs, il n’est pas indifférent que dans son engagement pour la justice comme dans sa révolte contre l’Absurde, Albert Camus ait reconnu " qu’il y a une certaine honte à être heureux tout seul ".
Dès son titre, l’auteur se veut conquérant : sortir des limites domestiques pour investir de nouveaux espaces de sécurité : l’extension de la sécurité sociale n’est donc pas un simple pari mais un défi. Car si dans un pari l’on peut s’en remettre au hasard et s’abandonner, un défi exige que l’on se donne. Et qu’on se donne d’abord les moyens de sa réussite.
Le lecteur relève, non sans frisson, qu’à 82,3% "la quasi-totalité de la population camerounaise et des pans entiers de catégories socioprofessionnelles se trouvent (…) légalement exclus de la protection sociale et par ce biais du travail décent " (p.25). Dans un rendu de lecture aisée, l’auteur nous présente des questions sensibles avec simplicité, exprimant moins de révolte contre une aussi grave exclusion sociale que de détermination à limiter ce préjudice.

Mais s’il positive, il n’en exprime pas moins sa volonté de rupture : il faut sortir des " régimes classiques verticaux " qui s’avèrent " assez mal adaptés " aux nouveaux impératifs sociaux. Par " une déconnexion ", on peut " extirper ces catégories socioprofessionnelles " (p.33) dont chacun déplore la " clochardisation ". En somme, il s’agit d’" améliorer les conditions de vie même des populations actuellement couvertes " par deux valeurs ajoutées : l’attractivité du nouveau système social et un embryon d’assurance maladie (p.34). S’inspirant de son expérience internationale, l’auteur invoque les résolutions du BIT, notamment l’Agenda du Travail Décent, pour convaincre de " l’impérieuse nécessité " (p.33) d’" un saut qualitatif vers une extension de la protection sociale aux couches de la population active jusqu’ici exclues de son champ de couverture " (p.39).
L’ouvrage ne se limite pas à une commode expression d’un rêve : il élabore et propose la méthodologie qui peut conduire à sa matérialisation, secteur par secteur, catégorie par catégorie. Les professionnels y trouveront du grain à moudre, à prendre et sans doute à jeter, l’auteur n’ayant exprimé aucune prétention à l’exhaustivité. Bien au contraire. Conscient de "l’instabilité notoire de la population des assujettis ", informé des insuffisances statistiques du monde professionnel et des recensements démographiques, Louis Paul Motaze accorde beaucoup de crédit aux " solutions concertées " (p.39), tributaires d’une veille scientifique permanente. D’où la place qu’il accorde aux " Etudes ". Il reconnaît à l’Etat le pouvoir " de commander les études de faisabilité" (p.26) ; et quand il lui arrive d’évoquer " une simulation des études actuarielles ", il n’en parle que comme " prélude à une étude plus exhaustive qui reste à réaliser et à peaufiner dans ses moindres détails lorsque toutes les statistiques et les paramètres alimentant les modèles seront disponibles " (p.87).

Ce souci de méthode révèle que l’auteur ne se satisfait pas d’énoncer : il s’astreint à distinguer le souhaitable et le possible, et s’impose d’approcher le faisable. Il en revient avec une proposition modélisante qui, en même temps qu’elle exclut l’exclusion sociale : dénonce la dispersion des structures ; prône plutôt leur regroupement ; réduit les coûts de gestion ; allège et simplifie les procédures ; garantit la fluidité fonctionnelle des acteurs du système ; s’associe le système judiciaire; harmonise la gestion des régimes de base des pensions.
Nous aurions là un précieux mécanisme pour la gestion sociale d’une population trop longtemps sevrée de bien-être. L’auteur s’en doute : " étendre la sécurité sociale aux couches de populations non couvertes c’est s’attaquer à l’exclusion et lutter contre la pauvreté ; c’est également étendre le filet de solidarité à une échelle nationale et renforcer l’appartenance à une collectivité de vie qui privilégie l’équité et l’égalité de traitement" (p.39). M. Juan Somavia, Directeur Général de BIT et préfacier de l’ouvrage ne s’y est donc pas trompé : " la démarche innovante de [Louis Paul Motaze] est révélatrice du caractère multidisciplinaire d’une question aux conséquences politiques majeures " (p.14)

Innovante, cette démarche l’est aussi en ce que l’auteur franchit les palissades de la routine pour explorer de nouveaux espaces de vie. Prudent, il rompt sans rien fracasser, puisqu’il s’agit d’une extension graduelle. Mais avec une telle proposition, les populations passeraient allègrement de la TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée) à ce que nous voudrions nommer la VSA (Valeur de Vie Sociale Ajoutée). La première a toujours su étouffer le social ; la seconde en revanche lui fournirait enfin un peu d’oxygène. " L’allocation de scolarité " (p.107) serait là pour persuader les parents les moins réceptifs.
En somme, bien plus qu’un simple projet, Louis Paul Motaze déroule une vision : "L’objectif recherché est de mettre à la disposition des pouvoirs publics un instrument de développement social performant et susceptible de consolider la sécurité sociale comme un levier essentiel de la lutte contre la pauvreté au Cameroun et de l’instauration du bien-être et de la prospérité des populations camerounaises " (p.143) Et nous voici au cœur du Développement social, problématique internationale dont l’Unesco a fait le centre de MOST (Management Of Social Transformations) son programme des Sciences sociales.

La charge émotionnelle, de générosité et de gratitude, qui semble avoir inspiré l’ouvrage a fait craindre que sous prétexte de solidarité sociale, l’auteur n’inflige au lecteur des épanchements narcissiques sur son bilan réputé élogieux à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale. Nous l’attendions à ce tournant de l’autosatisfaction. Vaine attente : le voilà déjà ailleurs, occupé à scruter de nouveaux horizons pour les travailleurs camerounais, par delà les secteurs économiques, les catégories sociales et professionnelles.
" Le monde à venir nous offre d’immenses possibilités et nous met face à de formidables défis " écrivait Alan Greenspan dans Le Temps des turbulences, (2007), au moment de quitter la Réserve Fédérale des Etats-Unis. Louis Paul Motaze s’éloigne de la Caisse sans véritablement quitter les Assurés dont il voudrait voir étendre l’éventail. Au regard de nos immenses potentialités, le formidable défi qu’il nous assigne en ces temps de turbulences est de transformer la Caisse sociale en un Corps social, où chaque membre compte.
Face à un défi de cette qualité, le plus frustrant n’est pas d’échouer, mais de n’avoir même pas tenté. Car " ce qui permet le triomphe du mal, c’est l’inertie des hommes de bien. La plus grave des erreurs c’est de ne rien faire sous prétexte qu’on ne peut faire que peu ". (cf. Etié Minem, 2006).


*Consultant
Comité scientifique
MOST-UNESCO
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