La nouvelle littérature camerounaise


VOUNDA ETOA, Marcelin, (sous la direction de), Cameroun nouveau paysage littéraire/new literary landscape (1990-2008), Yaoundé, Editions CLE, 2009, 453 p. – ISBN 9956-0-9151-0

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Synopsis d’une littérature qui reflète une société écartelée entre traditions perdues, legs colonial et errements contemporains.
Les éditions CLE signent ici un très intéressant ouvrage. Cameroun, nouveau paysage littéraire/new literary landscape (1990-2008) est un projet collectif dirigé par Marcelin Vounda Etoa.
On notera que cette publication bilingue (de belle facture) entend s’opposer «à une absurde tradition de cloisonnement des études sur la littérature camerounaise [en mettant] côte à côte des chercheurs anglophones et francophones» (M. Vounda Etoa, p.10). Ce «synopsis général» (p.10), se divise en trois parties liées aux problématiques du genre et des thèmes, du style et de la réception critique.
Ainsi s’esquisse un état des lieux retraçant dix-huit années de création littéraire au Cameroun. On ne peut que saluer la pluralité de ce panorama abordant les questions de langue (par exemple E. Biloa et «la linguodiversité de la camfrancographie littéraire» chez P. Nganang, p.311), de style (P. Bidjocka Fumba et «Le discours polémique dans La Croix du Sud de Joseph Ngoué», p.441), de genre (la première partie consacrée aux romanciers camerounais, la seconde partie abordant d’autres genres : théâtre, poésie, biographie, nouvelle), ou encore de réception (A. Owono Kouma et «La réception critique de la littérature camerounaise dans le mensuel Patrimoine», p.207).

Diverses postures d’auteurs émergent de ces quelques 29 exposés. On identifie un corpus de romanciers (anglophones et francophones) dont les romans «charged with a socio-political and economic consciousness of the Cameroonian/African landscape» (E. Ngongkum, p.37) mettent en scène l’antagonisme de la société traditionnelle confrontée aux changements issus des univers postcoloniaux.
Chez ces derniers, le parti pris de l’auteur peut osciller entre «tradition» et «modernité», en atteste le contraste lié au traitement des personnages féminins chez J. Nkemngong Nkengasong et C. Alobwed’Epie : «traditional enduring, self sacrificing women toward conflicted female characters searching for identity», ou «dependable, lackluster and weak females changed to independent, purposeful and fearless women» (S. Anyang Agbor, p.42).

Cette position médiane est aussi occupée par C.-G. Mbock, dont les romans mettent en lumière des sociétés africaines ayant perdu une «pureté originelle» (J. Dong Aroga, p.55) après leur rencontre avec «une force étrangère : celle du blanc» (p.59). Le choix d’un compromis s’avère alors nécessaire pour résoudre le conflit culturel engendré par cette rencontre, pour permettre une survie du «terroir». Chez C.-G. Mbock «la rencontre avec l’occident chrétien [devient alors] point de départ de l’imagination créatrice» (Makany, p.70).
L’hybridité de ces sociétés camerounaises, bouleversées et amputées de leurs repères ancestraux se fait constructrice de sens, syncrétiste, si ce n’est noyau de résilience. Il suffit d’observer la passion footballistique: «exutoire à toutes sortes de frustrations […] en même temps qu’elle se nourrit de pratiques magico-religieuses d’un autre âge» décrite par E. Ebode (L.-B. Amougou, p.93), pour comprendre que ces écritures «ancrée[s] dans le réel» (P. Daouda, p.146) déterminent leur propre «tableau» contemporain, que l’on exprime la perte de ce Cameroun du «Mbock Bassa» (A.-D. Tang, p.13) ou l’avènement bâtard du «made in France» (S.-A. Mforteh, p.403).

Tiraillés entre deux univers, le roman peut s’approprier un style, un thème, pour ensuite l’adapter à un univers camerounais, sinon africain. C’est le cas de J.-R. Essomba, qui «déporte l’enquête policière dans l’espace du mysticisme africain» (P. Bissa- Enama, p.181), ou de C. Beyala et sa «littérature de l’immigration» (N. Ambena, p.118) prenant en charge «une histoire […] devenue […] propriété universelle» (p.119) : dans les romans de Beyala, c’est la croisade féminine (et féministe) de La bicyclette bleue, replacée dans un contexte zimbabwéen.
La question de l’identité, qui refait sans cesse surface dans ces romans camerounais, donne lieu, chez G.-P. Effa, à l’expression d’une problématique du «non lieu [qui] permet une relativisation des notions de centre et de périphérie» (R. Fosting Mangoua, p.149), quand bien même l’auteur définit l’identité réelle comme «celle que confère […] le centre affectif, la terre natale» (p.158).

Et lorsque, dans A la recherche du cannibale amour, Y. Karone met en scène un auteur camerounais en phase d’écriture, c’est l’acte de création littéraire qui devient sujet romanesque. Pour pouvoir écrire et face à différents obstacles « qui l’empêchent de se réaliser sur le plan de l’écriture » (J. Ndinda, p.161), l’écrivain se trouve confronté à « l’obligation d’être un transgresseur, au risque de perdre définitivement la raison » (P. Bissa Enama, p.174).
Dans la dramaturgie camerounaise anglophone, cette question de la transgression se confond avec l’engagement, considération faite du traitement réservé aux leaders politiques par des écrivains comme B. Besong, B. Butake ou N. Hansel Eyoh. Chez ces derniers, on remarque que « just as theatre activists using theatre to criticize colonialists, so are contemporary theatre activists using theatre to criticize contemporary African leaders who do not consider transforming Africa into an industrial continent as a priority but are more concerned with their own personal interests » (A. Tanyi-Tang, p.271).
Pris dans un perpétuel antagonisme, l’écrivain camerounais semble jongler avec la part à accorder au réel, cela se vérifiant jusqu’au genre biographique allant de l’hagiographie à la « monumentalisation de vies vécues » (D.-A. Noah Mbédé, p. 233).
Au fond, c’est peut être l’humour qui laisse entrevoir une porte de sortie à cette littérature se faisant reflet d’une société écartelée entre traditions perdues, legs colonial et errements contemporains. Les nouvelles de S.-C. Abega apportent alors l’image d’un « bal des caméléons » (C. Bonono, p.281), un carnaval contemporain où « tout le monde [est] complice » (p.276) et dont seule une « esthétique de la dérision » (p.283) peut véritablement rendre compte.

Raphaël THIERRY, Doctorant
Université Paul Verlaine, Metz / Université de Yaoundé I

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