Espace livres : Tribulations à Arusha


Comment le Tpir a failli à sa mission.
Roger A. Taakam

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Il fallait un œil de journaliste pour raconter avec autant de simplicité l'épopée du tribunal chargé de juger les auteurs du génocide rwandais. Il fallait surtout une âme de reporter pour faire revivre, avec autant de détails et d'anecdotes, les péripéties d'une justice qui ne su jamais rendre justice. Car l'histoire du Tribunal Pénal international pour le Rwanda est unique. Avec des tranches de vies surréalistes, des coups de théâtre renversants, des parodies lamentables et même des dénis de justice, aussi dramatiques et insondables que le fut le génocide rwandais.
C'est certainement le paradoxe de cette justice, incapable de rendre justice, qui est à l'origine du récit de l'auteur. Un regard à première vue neutre, mais qui ne manque pas d'avoir du piquant dans le concert mélodramatique des maux qui ont hanté et continue de hanter le Rwanda depuis le 6 avril 1994.

Ce jour-là, l'avion du président Juvénal Habyarimana est abattu au dessus de l'aéroport international de Kigali. Dans les heures qui suivent, des centaines de milliers de civils Tutsis, mais également des Hutus dits modérés sont massacrés. On parle de génocide.
Entre audace et impertinence, André Michel Essoungou promène son regard. Revisitant l'histoire, écorchant des personnages, dérangeant quelques dogmes convenus, pour rendre compte, simplement, d'un triste constat : l'échec du Tpir, ce tribunal mis sur pied pour juger les auteurs du génocide. Tâche titanesque s'il en est pour cette juridiction qui ne pu jamais être à la hauteurs des grands espoirs que les victimes du génocide avaient placé en lui. Et le livre démontre fort bien combien cet échec était prévisible, voire inéluctable…

" Trois mois se sont écoulés avant le choix du pays qui doit abriter l'institution. Un choix, on l'a vu, politiquement délicat et qui va surtout s'avérer catastrophique sur le plan logistique. Une fois la ville tanzannienne d'Arusha choisie et quelques-uns des fonctionnaires du tribunal nommés, tout se passe comme si le Conseil de sécurité et le Secrétariat général de l'Onu ont choisi d'oublier ce tribunal qui, à certains égards, n'est pas fait pour plaire à tous ", s'indigne l'auteur. Et de remarquer plus loin que par rapport au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougalvie (Tpiy) dont il est le pendant, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir) est plutôt mal loti : " les conditions d'embauches sont en effet moins attrayantes que dans les missions de maintien de la paix de l'Onu notamment. A travail égal, on est mieux payé au Tpiy ". N'est-ce pas là une preuve suffisante de peu de considération que ses géniteurs accordent à ce tribunal, dont on ne comprendra jamais pourquoi l'Onu a choisi de l'implanter à Arusha, plutôt qu'à Kigali.

Loin de la neutralité recherchée, cette manœuvre a eu surtout le mérite d'éloigner la justice du justiciable. On connaît le résultat… " plus d'une décennie après sa création et à deux ans de sa fermeture annoncée (2008, Ndlr), le Tpir -qui aura coûté pas loin d'un milliard de dollars de budget à la communauté internationale- n'a que très laborieusement accompli une mince partie de sa mission. A peine une vingtaine de responsables du génocide rwandais ont été jugés, souvent dees acteurs de second plan. Faute de visibilité au Rwanda, il n'a presque pas d'impact parmi les populations dont il est censé aider la réconciliation ", s'indigne l'auteur.
Avec ses rappels historiques, le récit poignant de ce génocide que tant d'autres plumes ont exploré avant lui, Le livre d'André Michel Essoungou est une contribution importante dans la compréhension de ce que fut le génocide rwandais. Ici, l'auteur saisit le drame par l'autre bout : la justice, dont il est loisible aujourd'hui de constater quelle n'a jamais rendu justice que très chichement. Aussi dénonce t-il " l'encadrement politique " dont est l'objet cette justice qui, dès sa création, portait déjà les germes de l'échec.
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