
Justin Blaise Akono
Elle est peut-être lointaine, l'époque où le film "King-Kong", le grand gorille, était projeté lors des soirées culturelles des lycées et collèges à la veille de la fête de la jeunesse. Elle est peut-être aussi lointaine l'ère où des artistes donnaient des concerts en plein air et à des coûts raisonnables pour satisfaire le public qui n'avait pas les moyens de se payer une place dans une salle de spectacle. Les Kassav dans les années 80, les artistes congolais ou antillais dans les années 90, tout comme nombre d'artistes camerounais de renommée nationale ou internationale que la jeunesse a découverts à travers des concerts dans les stades, gymnases et autres espaces du territoire national.
Depuis quelque temps, la tendance est aux spectacles de rue. Principalement, les organisateurs des festivals consacrent une partie de leurs programmes pour "les consommateurs" de la rue. La musique, la danse, le théâtre et le cinéma. Le festival Les moments de contes (Festmoc) de Venant Mboua, qui existe depuis quatre ans, les rencontres théâtrales internationales du Cameroun (Retic) d'Ambroise Mbia, le Net plateau d'André Bang, Abok I Ngoma d'Elise Mballa Meka dans le registre de la danse, et plus récemment Terre africaine qui n'attend plus la saison des "Ecrans noirs" pour vulgariser le cinéma africain.
"L'objectif est d'aller vers le public qui ne va plus nombreux dans les salles. Il s'agit principalement du théâtre", estime Léopold Ngbwao. Le promoteur et diffuseur des spectacles de rue, d'entrée de jeu, précise qu'il y a une différence entre le spectacle de rue bien conçu et le spectacle dans la rue qui est spontané, presque improvisé. Selon Léopold Ngbwao, "on a déjà la culture du spectacle de rue en Europe. Tout comme au Bénin et au Burkina Faso où les gens sont plus avertis et les spectacles bien élaborés". Dans le cinéma, Patricia Mouné de Terre africaine, qui produit les Ecrans noirs du cinéma africain, pense que les salles des quartiers ayant disparu au Cameroun "nous sommes obligés de diffuser le cinéma de rue pour vulgariser le cinéma africain et marquer les esprits et l'espace en dehors des Ecrans noirs". Terre africaine.
Un point de vue que ne partage pas l'humoriste Kouokam Nar6 pour qui ; "ce n'est pas l'art qui doit aller vers les gens ; c'est plutôt la démarche inverse qui doit être observée. Les maîtres ne vont pas dans les domiciles pour dire aux parents d'inscrire leurs enfants à l'école. C'est une démarche différente qui s'opère et, avec succès." Et de poursuivre "A mon avis, emmener les spectacles dans la rue, c'est faire perdre de la valeur à notre art, quand on sait que, avec l'absence de salle, l'art camerounais se passe le plus souvent dans la rue. C'est à chacun d'éprouver le besoin de se familiariser avec l'art. Aller vers les spectacles, quels qu'ils soient, doit être une initiative personnelle, pas le contraire."
Moyens
Parallèlement, organiser les spectacles de rue sert les principaux organisateurs qui, pour la plupart, n'ont pas assez d'argent pour aller dans les salles. Ici en effet, la production est plus coûteuse que celle des spectacles de rue qui requièrent moins de contraintes matérielles. Un podium de fortune quand il est nécessaire, afin d'être vu par un grand nombre de personnes, mais également une bonne sonorisation sont les éléments essentiels de ce type d'organisation. Si le spectacle se déroule dans la journée, le plus souvent pour la musique, le théâtre et la danse, les organisateurs se passent volontiers des lumières. Le cinéma qui est obligé d'attendre la tombée de la nuit, exige un temps clément. Raison pour laquelle Terre africaine diffuse ses films de rue en saison sèche seulement.
"Comme tout spectacle, celui de la rue se prépare", explique un organisateur de spectacle. La sélection des intervenants et la programmation constituent les points importants de la préparation. Toutefois, "aucun organisateur ne peut vous dire combien il va dépenser car, il y a beaucoup d'aléas", estime le diffuseur Léopold Ngbwao qui pense qu'il est difficile de quantifier les coûts. "Le taxi, le téléphone, le fax ou Internet ne sont pas toujours notés. L'on peut encore avoir une idée du cachet de l'artiste à la conclusion des négociations", révèle-t-il. Pour y arriver, les démarche sont les mêmes que celles requises pour l'organisation d'un spectacle en salle: contact des mécènes qui interviennent dans des domaines précis. Par exemple, celui qui finance le transport ne le fera pas pour les cachets des artistes. L'agence de coopération culturelle de la Francophonie apporte toujours son soutien matériel et certaines facilités. Les sponsors, selon certains organisateurs, ne se contentent pas d'apporter la moitié, voire moins, du soutien financier attendu. Ils imposent aussi aux organisateurs de rendre leurs logos très visibles sur la scène du spectacle.
"Il n'y a pas d'argent dans les spectacles", se plaint un comédien. Les entreprises censées soutenir ce type de manifestation organisent des événements similaires, faisant ombrage au travail des professionnels. Pour André Bang, le président de l'initiative rencontres des arts de la rue (Rar-association), c'est à ce niveau que les rencontres 2006 devront s'améliorer. Pour contourner ainsi les énormes problèmes financiers et pérenniser les retombées des arts et spectacles de rue.
Les organisateurs refusent de classer les spectacles de musique dans le registre des spectacles de rue car, "les concerts sont généralement des spectacles dans la rue, organisés par des sociétés commerciales qui font du marketing", explique un organisateur de spectacle de rue qui se souvient que même le festival de Bikutsi n'était pas un spectacle de rue.
Mais, un concert fait dans un espace clos. Car, le spectacle de rue est synonyme de gratuité. Pour cette raison, la plupart des organisateurs ou diffuseurs des spectacles de rue disent faire ce travail pour l'amour de l'art. Car, il ne rapporte rien. Peut-être, la vulgarisation de l'art diffusé.
L'année dernière, les spécialistes de ce genre encore peu connu au Cameroun se sont réunis pour la troisième fois à Yaoundé sous le label de Rencontres internationales des arts et spectacles de la rue. "Notre objectif est de toucher un public plus large, former et informer les gens sur les activités des arts de rue", avait expliqué Annick Ayissi, la responsable des Rencontres.