TRIBUNE LIBRE : SAM MBENDE


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DROIT D’AUTEUR :

 COMMENT DES AVOCATS VEREUX ROULENT LE CAFCAM

Par Sam MBENDE (PCA CMC)

Ce qu’il est désormais convenu d’appeler « la crise de confiance » entre les organismes de gestion collective de droit d’auteur et des droits voisins de droit d’auteur et TOTAL Cameroun S.A. vient de connaître un nouveau développement avec l’interdiction faite à cette société spécialisée dans la distribution pétrolière par la Cameroon Music Corporation de toute organisation sur l’ensemble du territoire camerounais de tout spectacle et autres séances occasionnelles au cours desquels il y’aura communication au public des œuvres appartenant au répertoire de la CMC et à celui des sociétés sœurs, à l’exemple de la SACEM, avec qui l’organisme de gestion collective de droit d’auteur du domaine musical du Cameroun a signé des accords de réciprocité. Ce qui traduit en clair une détérioration des relations de franche collaboration entre ces deux partenaires.

    Cette situation, qui va paraître étonnante, vient ainsi remettre au goût du jour le grand débat actuel concernant l’assujettissement de certaines entreprises relevant de la Division des Grandes entreprises de la Direction générale des Impôts au paiement de la redevance due au titre du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur. Et les recouvrements forcés engagés depuis trois semaines par la Commission de lutte contre la piraterie de la CMC auprès des entreprises pirates ne manquent pas de susciter une indignation de la part de l’opinion publique qui a du mal à comprendre le refus de certaines firmes internationales représentées au Cameroun et utilisatrices des œuvres de l’esprit de se conformer aux textes en vigueur.

    Plus grave, certains conseils véreux, sans connaissance aucune sur le droit d’auteur, aux états de service nuls et inexistants dans ce domaine complexe du droit de la propriété intellectuelle, en profitent pour provoquer et entretenir un climat de suspicion autour de la Mission de recouvrement mise sur pied par le Ministre d’Etat en charge de la Culture le 28 juin 2006 et de la Décision N°0001/MINCULT/CAB du 13 janvier 2006 initiée par le Groupement Inter-patronal du Cameroun et portant sur les modalités de détermination, de perception et de recouvrement  de la redevance du droit d’auteur.

    Il n’est pas nécessaire de vouloir répondre à ces avocats d’un nouveau genre. Il me paraît cependant utile, en tant que spécialiste du droit d’auteur, de m’exprimer sur le sujet et de justifier pourquoi certaines entreprises sont usagers du droit d’auteur.   

    En attendant, il importe de rappeler rapidement que le droit d’auteur n’est pas une invention camerounaise. Institué depuis plusieurs années déjà par de nombreux autres pays, il est régi au Cameroun par la loi N° 2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins du droit d’auteur à laquelle s’ajoutent le décret d’application N° 2001/956/PM du 1er novembre 2001 fixant les modalités d’application de la loi susvisée, la Décision N° 0001/MINCULT/CAB du 13 janvier 2006 fixant les modalités de détermination,  de perception et de recouvrement de la redevance due au titre du droit d’auteur et des droits voisins et de bien d’autres textes complémentaires en la matière. Sans oublier les Conventions internationales ratifiées par le Cameroun : la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, l’Accord sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle… 

    D’entrée, il n’est pas inutile de relever que l’article 3 (1) de la loi N° 2000/011 du 19 décembre 2000 protège diverses œuvres du domaine littéraire ou artistique. Entre autres : les œuvres littéraires et les programmes d’ordinateurs ; les compositions musicales  avec ou sans parole ; les œuvres de dessin, de peinture, de lithographie, de gravure à l’eau forte ou sur le bois ; les sculptures ; les œuvres dramatiques, dramatico-musicales, chorégraphiques et pantomimiques créées pour la scène des œuvres audiovisuelles… 

   Des œuvres de l’esprit qui précèdent, les entreprises relevant de la Division des Grandes entreprises de la Direction générale des Impôts en sont-elles effectivement utilisatrices : de manière essentielle ou à titre accessoire ? C’est ici que le distinguo fait entre l’usage essentiel et massif d’une part et l’usage accessoire d’autre part a toute son importance. Car, non seulement le montant d’une redevance due au titre du droit d’auteur dépend du volume de l’utilisation des œuvres protégées dans la sphère d’une entreprise mais, plus important encore à relever, celles des entreprises, dont l’utilisation des œuvres protégées n’est pas avérée, ne sont pas concernées par les redevances du droit d’auteur. En clair : toutes les entreprises issues de la Division des Grandes entreprises de la Direction générale des Impôts ne sont pas assujetties au paiement de la redevance due au titre du droit d’auteur. 

    L’article 24 (1) de la loi N°2000/011 du 19 décembre 2000 précise à cet effet que « la rémunération de l’auteur est proportionnelle aux recettes d’exploitation ». L’alinéa 2 dudit article est encore plus illustratif : «la rémunération peut être forfaitaire dans les cas suivants : la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut pratiquement être déterminée, les frais de contrôle sont hors de proportion avec les résultats à atteindre ; l’utilisation de l’œuvre ne présente q’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité. »

    Au cours de nos visites dans les entreprises, les patrons, dans la plupart des cas, disent toujours ne pas être concernés par le droit d’auteur dès lors qu’ils n’organisent pas des concerts et des projections cinématographiques au sein de leurs structures. Certains, en allant au-delà, ne manquent pas souvent de relever que l’Etat prélève déjà une redevance audio-visuelle. Cette taxe, faut-il le souligner, que l’Etat impose aux citoyens et qui n’a rien à voir avec une redevance du droit d’auteur. Laquelle dépend uniquement de l’utilisation effective par un usager d’une ou des œuvres protégées à des fins commerciales ou non. C’est l’occasion de rappeler que le droit d’auteur n’est ni un impôt, ni une taxe. C’est le salaire différé des auteurs, des créateurs. En conclusion, la redevance audio-visuelle fixée par l’Etat est une taxe. La redevance du droit d’auteur est une rétribution du créateur. C’est, me semble t’il, deux choses distinctes.

    Tenu par un devoir de transparence, lié par le respect que nous devons à ces patrons d’entreprises qui sont en réalité nos partenaires, je me dois de dire que le problème concerne l’usage d’une œuvre, quel qu’en soit le genre, au sein d’une entreprise, lieu où une collectivité rassemblée travaille.
                                  
    C’est l’entreprise, représentée par ses dirigeants ou à travers les membres de son personnel, qui procède d’une manière ou d’une autre à la reproduction ou à la représentation des œuvres de l’esprit parce que c’est dans son intérêt, direct ou indirect. Une telle initiative de la part des patrons rend par conséquent l’entreprise intermédiaire entre le public et l’œuvre. Pour ce fait, l’autorisation des ayants droit doit être préalablement sollicitée et une rémunération  versée aux sociétés de droit d’auteur. C’est le principe cardinal et le fondement même du droit d’auteur. L’article 25 de la loi N°2000/011 du 19 décembre 2000 le précise clairement : « le bénéficiaire de l’autorisation doit rechercher une exploitation effective conforme aux usages de la profession et à la nature de l’œuvre ». Tous les avocats sont-ils toujours imprégnés des usages de notre profession et de la nature de nos œuvres ? Cette question mérite d’être posée aujourd’hui.

    On peut ainsi reprocher aux entreprises le fait de ne pas respecter le droit d’auteur. Mais comment pourraient-elles se sentir concernées ? De nos jours, les œuvres de l’esprit ont pénétré de toutes parts les entreprises qui sont des lieux publics pour devenir bien souvent l’accessoire indispensable à leurs activités. On pourrait par exemple citer la musique d’attente sur certains standards téléphoniques, les téléchargements des œuvres, les écrans de télévision qui distillent la musique, les films et autres à longueur de journées, les clubs privés, les cantines et les voitures publicitaires au sein de ces entreprises. Je ne parlerais pas des photocopieuses en libre accès, voire des graveurs et des serveurs à l’intérieur des entreprises qui servent également à diffuser les musiques et que les employés peuvent utiliser à leur guise, au su ou à l’insu des patrons, à des fins professionnelles ou non, à des fins commerciales ou non.

   A l’heure de l’Internet et de l’Intranet, source profonde du multimédia, diverses entreprises disposent, chacune, d’un site aujourd’hui. Pour cela, elles sollicitent bien souvent des œuvres littéraires et artistiques pour alimenter leurs sites. Malheureusement, sans l’autorisation des sociétés de droit d’auteur et au détriment des ayants-droit.
         
                            
    S’agissant des modalités de paiement de la redevance due au titre du droit d’auteur, et dans l’élan participatif du ministre d’Etat en charge de la Culture, aucun texte ne devant être imposé aux usagers, dix huit négociations ont eu lieu pendant de longs mois entre le Ministère de la Culture, la Commission Permanente de Médiation et de Contrôle des sociétés de droit d’auteur, les organismes de gestion collective de droit d’auteur et les entreprises représentées par le Groupement Inter-patronal du Cameroun.

    C’est la résultante de tous ces pourparlers qui a abouti à la Décision N° 0001/MINCULT/CAB du 13 janvier 2006 portant sur les modalités de détermination, de perception et de recouvrement de la redevance due au titre du droit d’auteur et des droits voisins. D’où vient-il donc que certaines entreprises veuillent contester ladite Décision plus d’un an après ? Drôle de formule, n’est-ce pas ? Drôle, synonyme d’étrange et de surprenant. Pourtant, ces avocats savent pertinemment qu’il n’y a plus de possibilité pour eux ni d’un recours gracieux auprès du Ministre d’Etat chargé de la culture, ni d’un recours en annulation auprès de la Chambre administrative de la Cour suprême. Alors, pourquoi refusent-ils toujours d’admettre qu’ils se sont fourvoyés et, par-delà, qu’ils ont trompé et continuent de tromper les patrons d’entreprises, Terrible équation n’est-ce pas ?

    Et pour notre édification, cet extrait du curieux compte-rendu d’un avocat, dont j’ai pu obtenir copie, d’une séance de travail tenue le 20 avril 2007 entre les avocats des entreprises appartenant au CAFCAM d’une part, le Président de la CPMC d’autre part, le PCA et le Directeur général de la CMC de troisième part : « …Nous avons pu obtenir cette amorce de négociation en raison de la mobilisation commune de nos entreprises. Il est important de ne pas relâcher la pression et de continuer à montrer notre détermination à obtenir l’annulation ou du moins la reformulation de cette décision inique et infondée en droit jusqu’à la signature d’un accord juste et équitable… »  Vous avez dit canulars ? En tout cas, à chacun de nous d’en faire son propre jugement.

    Bien plus, aujourd’hui que la Décision N°0001/MINCULT/CAB du 13 janvier 2006 fait son bonhomme de chemin, pourquoi verser dans un juridisme négatif alors que ladite Décision n’est pas coercitive ? Son article 4 (5) propose à cet effet une alternative : « tout usager est libre, s’il l’estime plus conforme à ses intérêts, de refuser son insertion dans l’une des catégories visées plus haut et de négocier avec le représentant des organismes de gestion collective, sous l’arbitrage de la Commission Permanente de Médiation et de Contrôle des sociétés de droit d’auteur, le montant de la redevance qui sera déterminé sur le critère de l’utilisation effective des œuvres protégées et qui lui sera propre …»

     Face à une telle ouverture, on est en droit de s’interroger sur la gesticulation de ces avocats véreux, conseils des entreprises appartenant au Cercle d’affaires français au Cameroun (CAFCAM), qui versent dans le mensonge et le dilatoire. Ils savent pourtant que la Décision susvisée  ne leur est même pas opposable dès lors que les entreprises ont la possibilité  de négocier directement avec les organismes de gestion collective de droit d’auteur. C’est ici qu’on comprend sans doute l’enjeu, ces conseils tenant absolument à justifier les gros honoraires que leur versent leurs clients alors qu’ils n’ont rien à défendre en réalité. Toute chose assimilable à de « l’arnaque » pour reprendre leur propre terme qu’ils affectionnent pour qualifier la redevance du droit d’auteur. Quelques entreprises appartenant au CAFCAM l’ont d’ailleurs vite compris en se ravisant. Aussi ont-elles finalement choisi de négocier directement avec les sociétés de droit d’auteur en payant leurs redevances du droit d’auteur.

    Pour celles des entreprises qui le souhaiteraient, et pour leur éviter le chemin de l’hystérie juridique dans lequel quelques quidams sont en train de les embarquer, je voudrais les rassurer que sur la question de l’entreprise comme usager du droit d’auteur, la CMC et ses experts, notamment son Directeur général, Jean Claude LAURENT, ancien cadre supérieur de la SACEM avec 37 ans d’expérience, sont à leur disposition. Sans condition aucune.
                                  
    Si la loi N° 2000/011 du 19 décembre 2000 consacre la protection du droit d’auteur au Cameroun, il faut admettre que cette disposition légale n’est pas littérature. Le titre VI de la loi sur le droit d’auteur parle ainsi des infractions, des sanctions et des procédures. Et l’article 81 (f) assimile « le défaut de versement ou le retard injustifié de versement d’une rémunération prévue par la loi » à la contrefaçon. Rien d’étonnant donc que les recouvrements forcés actuellement en cours soient menés par la Commission de lutte contre la piraterie de la CMC. Et nous resterons vigilants et fermes dans la perception de nos droits. Par ailleurs, le mouvement va se radicaliser dans les prochains jours avec l’implication des syndicats et autres associations d’artistes venus de nos dix provinces  D’où notre insistance in fine : la redevance du droit d’auteur ne peut en aucun cas être perçue comme une taxe ou un impôt. Plus que cette dernière, elle est assimilée à la créance salariale de l’artiste. Et cela est tout aussi vrai en France, en Belgique… Bref, dans tous les pays ayant ratifié la Convention de Berne.

    Dans la franche collaboration que les sociétés de droit d’auteur ont décidé d’asseoir avec tous leurs partenaires, autant il est souhaitable qu’elles fassent preuve de compréhension puisque ces entreprises sont nos partenaires privilégiés, autant il est souhaitable que les entreprises fassent preuve de franche collaboration. Et dans le strict respect des législations nationale et internationale en tenant compte des usages de notre profession.

   Il est important de noter avec force que l’objectif du Ministère de la Culture et du GICAM n’était pas la répression mais la négociation aux fins de la préservation des intérêts des uns et des autres dans un climat de légalité, de confiance réciproque et de sérénité.

   On pourra épiloguer à souhait sur la révolution actuellement en cours au Cameroun au sujet du droit d’auteur. Aucune œuvre humaine n’étant parfaite, il faut néanmoins avoir l’honnêteté de reconnaître au moins le mérite du Ministre d’Etat chargé de la Culture, Son Excellence Ferdinand Léopold OYONO, et du Président du GICAM, André SIAKA, d’avoir mis sur pied la première plate-forme sur le droit d’auteur dans notre pays. A la postérité de la parfaire.

   Ma reconnaissance va également au Président de la Commission Permanente de Médiation et de Contrôle, le Professeur Magloire ONDOA, à l’expert Olivier BEHLE, Maître Henri JOB, Hermine BOLLO et DOUALLA DOUALLA (SJ CAMRAIL), Elysée GOUATTER (ex legal adviser GUINNESS), Solange ASSEN (SJ ORANGE S.A.) et aux dirigeants des quatre sociétés de droit d’auteur. Je n’oublie pas ELOHIM, le Dieu tout puissant, qui a rendu possible cette révolution car il dit une chose et elle s’accomplit.                        

 

                                   
Sam MBENDE                                                                                    
(PCA CMC)

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