Le Cameroun coupé de ses «amis» ?


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Diplomatie :

Entre réactions officielles et attitudes officieuses, les positions des principales ambassades à Yaoundé traduisent un malaise réel.
Alain Blaise Batongue

Une image, qui n’est pas passée inaperçue : jeudi dernier, à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour suprême (après une interruption de plus de 20 ans), le banc traditionnellement réservé aux chefs de missions diplomatiques, qui avaient tous reçus leur carton d’invitation, est resté étrangement vide. Seuls, a-t-on cru reconnaître, les ambassadeurs du Gabon, du Tchad, de Guinée Equatoriale et du Sénégal ont répondu présents. Le gouvernement a dû apprécier, selon la formule consacrée, que « c’est dans les moments difficiles que l’on reconnaît ses vrais amis ».

L’attitude ne devait pourtant pas surprendre puisque, depuis le déclenchement de la grève des transporteurs urbains et interurbains, et les émeutes qui l’ont aussitôt relayée, les principales représentations diplomatiques à Yaoundé ont pris des mesures qui indiquaient que la situation était réellement prise au sérieux, mesures qui, venant précisément de ces pays supposés bien informés, ont accentué l’état de psychose dans la population. L’ambassade de France, qui a immédiatement fermé les écoles françaises à Yaoundé et Douala, demandait « aux ressortissants résidant au Cameroun de rester chez eux en raison de violences entre manifestants et forces de l’ordre qui ont fait au moins 17 morts depuis samedi dans plusieurs villes du pays».
L’ambassade américaine a pris pratiquement les mêmes dispositions : demandant à ses ressortissants de rester chez eux, suspendant le fonctionnement de la section consulaire de l’ambassade dès mardi le 26 février, pour ne régler que les mesures d’urgences pour ressortissants américains exclusivement. Des mesures qui, partout où elles ont souvent été prises, indiquaient ou annonçaient de graves crises aboutissants parfois à des changements politiques profonds…

Officiellement, les deux principaux partenaires donnaient des gages de collaboration en même temps qu’ils prenaient leurs distances vis-à-vis du gouvernement camerounais. Le porte parole du ministère français des Affaires étrangères, jeudi le 28, indiquait que la France était « très préoccupée par les violences qui se poursuivent depuis plusieurs jours dans l’Ouest du Cameroun et qui touchent depuis hier la capitale, Yaoundé. Ces violences, d’où qu’elles viennent, sont inacceptables. Nous appelons au retour au calme. Nous souhaitons que le débat politique puisse se dérouler de manière pacifique et démocratique.» Ajoutant : « Quant à l’éventuelle réforme de la constitution, il est souhaitable qu’elle donne lieu à un débat large et ouvert avec toutes les composantes de la société camerounaise. C’est dans cet esprit que l’Union européenne se concerte à l’initiative de la présidence slovène.»

Joker
L’ambassade des Etats-Unis d’Amérique, qui a publié samedi le 1er mars un communiqué sur la situation que vit le Cameroun, regrette que les émeutes aient occasionné « des pertes en vies humaines et destruction de biens ». Tout en présentant ses « condoléances aux familles des victimes et à ceux qui ont été blessés durant cette période », elle exprimait « le vœu que la crise trouve une solution pacifique, sans autre violence », appelant « toutes les parties à rechercher des voies de sortie de crise dans un esprit de dialogue ».
Au-delà des positions officielles et des actes posés pour faire face à la situation, les principales représentations diplomatiques prennent également leurs distances, par des sources officieuses, avec la manière dont a été gérée cette crise par le gouvernement. Un diplomate d’un pays occidental indique par exemple, sous le couvert de l’anonymat, que « le président a trop vite grillé son joker, en prenant la parole sans donner des pistes de solution à un malaise social et politique pourtant réel ».

On fait également savoir que les diplomates de ces principales ambassades, qui ont eu l’occasion de rencontrer le chef de l’Etat, ont transmis leurs informations sur le malaise social au Cameroun et l’exigence d’ouvrir le débat sur une éventuelle révision de la constitution à l’ensemble des forces vives de la population. La réponse du président Biya a-t-elle tenu compte de cet avertissement ? En tout cas, la France, qui assure la présidence locale du Conseil de l’Union européenne, a ouvert sur la question constitutionnelle camerounaise une consultation européenne. Et selon le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, « la position européenne sur la question est en voie de définition. »
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