Déclaration des forces vives du Mfoundi
Un discours anticonstitutionnel et terroriste
L’appel à la guerre des élites du département du Mfoundi contre “tous les prédateurs venus d’ailleurs” sommés “ de quitter rapidement et définitivement ” leur sol continue de défrayer la chronique. Nous mettons en exergue le caractère terroriste et anticonstitutionnel de la déclaration concernée.
Un texte qui aurait pu passer inaperçu dans le quotidien gouvernemental du lundi 3 mars 2008 si le ton véritablement belliqueux et la portée considérable n’avaient été aussi poignants. Depuis plusieurs jours, Cameroon Tribune publie pourtant de nombreux messages, appels, mises en garde et déclarations condamnant les violences et le désordre ayant paralysé l’activité nationale la semaine de la grève des syndicats de transporteurs. Il se trouve que la déclaration des forces vives du Mfoundi, signée par une trentaine de personnalités dont des ministres actuels et anciens, le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé, des maires actuels et anciens, autres élus locaux et élites dudit département, est allée trop loin. Non seulement dans le désir affiché de se faire justice, mais surtout dans la stigmatisation et l’appel à la guerre ou au génocide d’autres communautés de la nation non originaires du Mfoundi.Voici un des extraits de la déclaration des forces vives du Mfoundi : “ A la suite du chef de l’Etat, nous avertissons clairement et fermement tous ceux qui seraient tentés de rééditer chez nous les actes de vandalisme perpétrés au cours de la semaine qui s’achève, qu’il est temps de changer leurs projets. (…) Le désordre ne passera point par le Mfoundi, d’où qu’il vienne. Nous lui barrerons la voie sans hésitation, et par tous les moyens, aussi que l’ont su faire nos pères, en des circonstances identiques ”. Un tel avertissement qui se termine par la menace de l’usage de tous les moyens est-il normal dans un Etat de droit ? L’expression “ par tous les moyens ” utilisée par un groupe d’individus dans une société où les institutions fonctionnent ne constitue-t-elle pas un aveu d’entretien ou de collaboration avec des milices privées en pleine capitale ? Comment ne pas s’interroger sur les motivations réelles des prétendues “ forces vives du Mfoundi ” qui déclarent par ailleurs la chasse à l’homme aux compatriotes qui ne seraient pas autochtones de ce terroir ?
Il faut bien lire et relire cet autre extrait de ladite déclaration. “ En outre, nous invitons fermement tous les prédateurs venus d’ailleurs, de quitter rapidement et définitivement notre sol. Car, ils n’y seront plus jamais en sécurité. Qu’ils disent à leurs commettants que les forces vives du Mfoundi ont de nouveau revêtu la tenue du combat de leurs ancêtres. Lesquels ont longtemps résisté à la pénétration européenne (…) ”.
Des disciples d’Oussama Ben Laden
A l’image d’Oussama Ben Laden, le terroriste le plus recherché de la planète, qui avait promis que “ Les Etats-Unis ne seront plus jamais en sécurité ” au lendemain des événements tragiques du 11 septembre 2001, à New-York, les forces vives du Mfoundi sont déterminées à en finir vraisemblablement avec les allogènes. Ceux qui sont désignés comme “ prédateurs venus d’ailleurs ” et qui sont sommés “ de quitter immédiatement et définitivement ” leur “ sol ” ne peuvent pas, dans leur logique, se prévaloir de l’appellation de fils, filles, élites, notables, chefs traditionnels et forces vives du Mfoundi. On peut s’interroger sur la notion de “ prédateurs ” et se demander en quoi et comment s’est organisée la prédation dont parlent ces élites du Mfoundi.
De même, la tenue de combat de leurs ancêtres qu’elles “ ont de nouveau revêtu ” leur permettra-t-elle d’évoluer vers la civilisation ou de retourner dans la barbarie ? Comme on peut le deviner, les forces vives du Mfoundi considèrent comme étrangers tous les Camerounais “ venus d’ailleurs ” et installés sur leur sol. Tout se passe comme si certains Camerounais cessaient d’être chez eux au Cameroun dès lors qu’ils se retrouvent sur des terres camerounaises éloignées du village de leurs ancêtres. Une manière de voir les choses en contradiction totale avec les efforts menés par l’ancien président Ahmadou Ahidjo pour réaliser l’unité nationale. Ainsi qu’un coup de poignard contre l’intégration nationale prônée depuis 1982 par le président Paul Biya. Lequel a affirmé et réaffirmé que tous les Camerounais devaient se sentir chez eux partout au Cameroun. Mieux, Paul Biya a souvent dit qu’il n’y a pas de Camerounais à part entière et de Camerounais entièrement à part. La constitution du 18 janvier 1996 proclame solennellement que le peuple camerounais constitue une seule et même nation engagée dans le même destin.
Des droits constitutionnels bafoués
La déclaration des forces vives du Mfoundi se moque et outrage des droits inaliénables et sacrés de l’être humain reconnu par la constitution. Comment comprendre que des citoyens tout de go déclarent “ qu’il soit entendu que désormais, nous répondrons aux coups par coups. A partir de maintenant, œil pour œil, dent pour dent ” ? Le Cameroun est-il un pays où règne l’anarchie ? Signataire de ladite déclaration Gilbert Tsimi Evouna, délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé, a tenté, dès le lendemain de la publication du brûlot, de mettre un bémol sur la déclaration dans une mise au point : “ Tout en déplorant le ton quelque peu belliqueux de ladite déclaration, le délégué du gouvernement tient à rassurer toutes les populations de la cité capitale, indépendamment de leur appartenance ethnique, politique ou religieuse, qu’elles sont chez elles à Yaoundé. Et comme telles, elles ont l’impérieux devoir de veiller – chacun à son niveau et selon ses moyens -, au même titre que les familles autochtones, sur les biens et la sécurité de la ville qui les héberge ” (Cf. Cameroon Tribune n°9050 du mardi 04 mars 2008).
Cette mise au point de M. Tsimi Evouna n’éteint cependant pas l’appel à la guerre et le feu qui brûle désormais dans le sentiment d’insécurité et le climat de terreur nés de la publication de la déclaration des forces vives du Mfoundi ne sont pas apaisés. Pis, des droits constitutionnels sont bafoués. En particulier les droits et libertés suivants qui figurent dans le préambule de la constitution : la liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des droits d’autrui et de l’intérêt supérieur de l’Etat. Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement, sous réserve des prescriptions légales relatives à l’ordre, à la sécurité et à la tranquillité publique. Nul ne peut être contraint de faire ce que la loi n’ordonne pas. Nul ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou croyances en matières religieuse, philosophique ou politique, sous réserve du respect de l’ordre public et des bonnes mœurs. La liberté de communication, la liberté d’association, la liberté syndicale et le droit de grève sont garantis dans les conditions fixées par la loi. La propriété est le droit d’user de jouir et de disposer des biens garantis à chacun par la loi. Nul ne saurait en être privé si ce n’est pour cause d’utilité publique et sous la condition d’une indemnisation. Tous les citoyens contribuent à la défense de la patrie, etc.
Edmond Kamguia K.