Les mains dans le cambouis


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Aura-t-il fallu attendre le coup de semonce du chef de l’Etat? Mais bon, on a vraiment le sentiment aujourd’hui que les choses bougent. Que le gouvernement est au travail. On le sait : les commentateurs ne se privent jamais d’indexer l’incurie et l’inertie lorsqu’ils croient les déceler du côté de nos ministres. On l’affirme : personne ne trouverait injuste que les mêmes commentateurs saluent en cas de besoin le sens de l’action et de l’initiative, lorsqu’il semble aller dans le bon sens. Après quelques semaines d’outrances polémiques en tous genres, suite à ce qu’on pourrait appeler « les événements de février », le temps est venu pour les citoyens et la classe politique, de se ressaisir et de juger le gouvernement sans arrière pensée politicienne, sur le degré de son ambition et la qualité de ses résultats. Tels qu’ils sont lus par les spécialistes et les statisticiens, peut-être pas encore, mais tels qu’ils sont vécus par les Camerounais eux-mêmes, oui.

Au terme du conseil de cabinet de jeudi dernier à l’Immeuble Etoile, les journalistes auront surtout médiatisé les mesures les plus spectaculaires, comme la suspension de l’acquisition des véhicules administratifs et la réduction du nombre de missions à l’étranger. Ces mesures sont, nul n’en doute, très importantes, et très symboliques de la volonté de l’Etat de réduire son train de vie et de gérer plus sobrement le trésor commun, dans un contexte socio politique assez particulier.

Mais ces mesures restent ponctuelles malgré la charge du symbole et pourraient cacher aux yeux des Camerounais une réalité, bien plus importante encore et bien plus stimulante pour leur moral : nous assistons à une prise en main par le gouvernement de l’aspiration générale à un mieux-être. L’équipe à Ephraim Inoni s’est en effet dotée d’un plan stratégique – pensé, coordonné et déjà soumis à évaluation – pour améliorer le quotidien des Camerounais et assainir la gestion des finances publiques.

Pour ce faire, le chef du gouvernement a rappelé aux ministres les priorités du président de la République – revalorisation du pouvoir d’achat, lutte contre le chômage et la corruption. De toute évidence, Ephraim Inoni a choisi, pour leur mise en œuvre, deux leviers : celui de la qualité de la dépense publique et celui de l’incitation au secteur privé.

La qualité de la dépense publique, qui passe par moins de dépenses et surtout mieux de dépenses, est en effet la condition sine qua non de toute politique volontariste de développement. Que de gaspillages dus aux mauvaises évaluations, aux surfacturations, aux réalisations approximatives ou même fictives ! En décidant par exemple de suspendre l’acquisition des véhicules, de réduire le nombre de missions à l’étranger et la taille des délégations, de réviser la trop généreuse mercuriale de l’Etat, quitte à payer plus rapidement ses fournisseurs, le gouvernement vient de mettre le doigt sur quelques-unes des plaies les plus décriées de notre administration. Pourvu, a-t-on envie d’ajouter, que ces bonnes intentions ne soient pas remisées au placard de l’oubli au nom de quelque conflit d’intérêt.

Mais si le gouvernement entend bientôt traduire en actes la vision présidentielle d’un pays de prospérité et d’égalité des chances, les mesures envisagées ne doivent en aucun cas demeurer des mesurettes. Elles doivent s’exécuter, après que leur incidence sur le budget de l’Etat a été évaluée.

Le second axe d’action annoncé ici concerne fort heureusement le secteur privé. En voyant monter l’Etat seul au créneau face à la problématique de l’emploi des jeunes et du pouvoir d’achat, on a eu peur de voir ressurgir les excès du maternage d’Etat, dont nous avons vécu douloureusement les dérives à la fin des années 80. Non, l’Etat-providence n’est pas ressuscité. Il ne survivrait pas une lune. Et l’affirmer ne relève pas d’un dogme doctrinaire mais bien du simple pragmatisme. La vision utopique de l’Etat pourvoyeur de tout à tous a heureusement été recadrée au profit d’une évidence : l’initiative privée est aussi efficace sinon plus que l’Etat, dans la lutte contre la pauvreté et le chômage, la création de richesses. Pour peu que l’Etat institue une réglementation appropriée et des mesures incitatives. En annonçant jeudi dernier une réflexion sur la nature et la forme de ces incitations, vis-à-vis des entreprises ayant une politique volontariste de recrutement, le chef du gouvernement va assurément dans le bons sens. D’où la nécessité de pousser la réflexion aussi loin que possible, et d’en sortir avec des pistes limpides pour l’action.

D’une façon générale, l’un des axes majeurs de cette politique d’incitation envers le secteur privé doit demeurer le dialogue avec ses acteurs, la promotion des investissements nationaux et étrangers, la création d’entreprises et la poursuite des réformes économiques, que le dernier rapport de l’agence de notation Standard & Poors a jugé satisfaisantes. Ce qui est un bon point et un atout.

Le moins que l’on puisse dire est donc que le gouvernement, pressé de toutes parts, a les mains dans le cambouis : des mesures pleuvent, des prix sont cassés, et des réflexions vitales engagées. Cet élan est appelé à se poursuivre et à s’intensifier, à une condition essentielle : que les partenaires politiques et sociaux laissent aux décideurs la sérénité de conduire le projet économique en cours aussi loin que possible. Qu’ils s’invitent à sa consolidation, non par une agitation dévastatrice, mais par une critique constructive. La contradiction, responsable, bien articulée, est pour le pouvoir un nécessaire aiguillon. Car cela demeure vrai, ce sont les contradictions qui font avancer la société.

Par Marie Claire NNANA
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