Joseph Marie Besseri : Un pionnier s'en va


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Joseph Marie Besseri : Un pionnier s'en va en silence
Le fondateur de Perspectives Hebdo décédé le 12 avril 2008 a porté toutes les contrariétés de la presse privée au Cameroun.
Xavier Messe

Il est 23 h. Le quartier Warda à Yaoundé n'est pas endormi. Au pied de l'imposant immeuble Hajal Massad qui surplombe de ses six étages aux murs vitrés le carrefour Warda, les commerçants font recettes. A droite et à gauche, la bière coule à flot. Poisson et poulets braisés continuent de faire le bonheur des noctambules en quête des goûts épicés, pavoisés aux rythmes aigus et assourdissants des bars avoisinants.
Au 4e étage de cet immeuble Hajal Massad qui abrite les commerces de tout genre, Joseph-Marie Besseri a installé ses quartiers. Il s'agit d'un compartiment de 3 pièces diversement dimensionnée : la principale pièce, la plus vaste est la salle de rédaction du journal Perspectives Hebdo. Une demi dizaine de rédacteurs s'affaire en ces lieux. Ils sont dotés d'un matériel ni entièrement rudimentaire issu du règne de Gutenberg, ni sorti des joyaux de Bill Gates ou de Marconi. La pièce moyenne est le bureau de Joseph Marie Besseri, directeur de publication et rédacteur en chef de Perspectives Hebdo. Le bureau du Dp est un mélange de tout : le téléphone à la coque noire doté des touches manuelles, relèverait d'une génération non très éloignée de celle de Bell Graham. Négligemment posé sur un tas de journaux jaunis, le Dp se lève à chaque sonnerie stridente, marque deux pas en direction de son appareil afin de parler à un correspondant qui serait tantôt un ami, tantôt un membre de famille, ou alors un informateur fidèle, habitué à proposer au Dp une information qu'il estime être un "scoop".

Joseph Marie Besseri se prête au jeu : du combiné bloqué entre son épaule et son oreille gauche, il relève nerveusement des informations du " scoop " ; une fois la conversation terminée, il se dirige à pas lourds et rassurés vers la salle de rédaction ; il interroge " Jbb ", (Jean Baptiste Biayé) son rédacteur en chef adjoint : " Es-tu au courant de la suite de cette affaire ? " s'enquiert-il, avant de prescrire: "il faut faire rapidement le papier".
La 3e pièce de ce compartiment, le siège de Perspectives Hebdo est le bureau de l'intendance. Cette pièce exiguë est aussi la salle de montage du journal. Sont autorisés à pénétrer dans ce bureau " stratégique ", les très proches collaborateurs de J. Marie Besseri, ou ses rares amis intimes. Le travail se poursuit très tard à la rédaction de Perspectives Hebdo. La veille des bouclages, la rédaction est une fourmilière enfumée : Me Bizolé, vieil ami de la "maison", conseil juridique, arrive tard pour compléter une information importante reçue quelque temps plus tôt. Bess (c'est ainsi que les amis appellent Besseri) tire profondément sur sa cigarette Delta, renvoie la fumée au dessus de sa tête avant de la voir se répandre dans l'ensemble de la pièce. Il commande une bouteille de bière blonde à son bureau, à moins qu'un ami ne le persuade à descendre l'avaler dans un des bars formant la ceinture de l'immeuble Hajal Massad. Telle était l'ambiance permanente au sein de ce qui était devenu en 1988 Perspectives Hebdo dans son format actuel de tabloïd.

Le tabloïd
L'aventure éditoriale de Joseph-Marie Besseri débute en février 1982. Il lance " Perspectives ". Il s'agit d'un magazine dont l'emblème-logo au niveau du titre est un texte blanc sur réserve rouge, en caractères capital. La périodicité non définie de ce magazine est cependant comprise entre un mois et un trimestre. En cette période où on lit beaucoup de journaux en provenance de l'étranger, Joseph Marie Besseri apparaît comme un précurseur des éditeurs de presse au Cameroun.
Les portes s'ouvrent devant lui dans toute la zone de l'Afrique centrale. Il choisit de faire imprimer son magazine d'abord en Belgique, et ensuite en Italie. En 1986, il nous apprend qu'une livraison en provenance de Rome et attendue au Cameroun depuis six mois n'était jamais arrivée à bon port à cause des " négligences " du transporteur désigné, la Cameroon Airlines. En attendant un procès où la compagnie nationale de transport aérien devrait selon le Dp dédommager grassement l'entreprise de presse, Bess décide de mettre sur le marché la version tabloïd de son journal en périodicité hebdomadaire, afin dira-t-il, " de ne pas pénaliser ses nombreux lecteurs ".

Ainsi commençait la nouvelle vie de Perspectives Hebdo, autant que se poursuivait la longue attente de Perspectives magazine auquel le promoteur semblait sérieusement s'accrocher. Le lectorat camerounais et l'environnement médiatique local finissent par s'habituer à Perspectives Hebdo, à l'adopter et à oublier qu'il existait le même titre en magazine.
Dans sa typologie, la presse se définit par domaine d'activité ou par aire géographique si elle n'a pas choisi d'être " généraliste " et " nationale ". Dans cette classification, Perspectives Hebdo avait choisi de ne pas être classé. Dans son contenu, le journal de Bess n'est pas un organe d'information au sens journalistique du terme. Il navigue régulièrement en marge de l'actualité, sans se livrer pour autant aux analyses thématiques. Il affectionne les sujets dits événementiels dont la rémunération est quasiment assurée. Ce choix n'est nullement imposé par sa périodicité. Il est une option éditoriale.

La sensation, l'esprit démonstratif, le goût du copinage et la volonté de propagande sont également les principes sur lesquels Joseph Marie Besseri a construit la ligne éditoriale de son journal. Joseph Gogologo Mpelé qui faisait partie de la cuvée des jeunes journalistes auxquels Bess a donné le goût du métier autant qu'il en a assuré la formation sur le tas commente : " Bess était journaliste jusqu'aux bouts des ongles. Il avait le flirt et la magie du titre ".
Sur ce registre, Perspectives Hebdo titrait : "Ça y est, le président Biya se remarie, l'élue est une jeune métisse sortie du ghetto d'Essos" ; " Chantal est habillée en démembrée et mini-jupe ". Il titrait aussi : " Dakolé foudroie Achidi Achu " ; plus tard, il met en manchette : "Les Boulou recommencent avec leur vantardise"; " Les Mbamois et les mbamoiseries ".
Bess aura compris ce que veulent l'immense majorité des Camerounais. Il leur servait l'information en titres, quand bien même le contenu ne permettait pas au lecteur de trouver la plénitude de l'information recherchée. C'était ça aussi du Bess !

Copinage
Si l'une des missions du journaliste est d'informer le public des décisions et des actions du gouvernement, des amitiés qui se montent entre les personnalités politiques ou économiques dans les missions de l'une et de l'autre impliquent le journaliste. Il écrit certaines choses et doit taire d'autres pour des raisons de sécurité et de sécurisation des sources. Le journaliste qui ne parvient pas à faire la part des choses en protégeant son indépendance, court le danger du copinage. Alors commencerait pour lui la triste gymnastique qui consiste à écrire pour faire plaisir, écrire pour aider à régler des comptes, écrire sans avoir confronté l'information reçue à la première source…
Bess qui a voulu ancrer son journal dans le grand Mbam en grande partie, était naturellement l'objet de toutes les sollicitations. Lorsque les positionnements politiques font partie d'un tel environnement, le journaliste, le bon, devrait pouvoir garder la tête froide et observer une distanciation professionnelle nécessaire.

Cet exercice n'est pas des plus aisés. Notre confrère américain James Mc Carthney, en décrivant ce genre d'environnement où le journaliste devient ensorcelé par le pouvoir, estime que, s'il refuse d'en sortir, ce journaliste deviendra l'attaché de presse de ceux qu'il encense en décrivant ou en expliquant les actions. Bess a difficilement échappé à ce piège. Raison pour laquelle il n'aura pas eu que des amis dans le grand Mbam qu'il affectionnait tant. De sa vie privée, il en a fait presque un mystère. Voulait-il mettre sa famille à l'abri des projecteurs souvent braqués sur le journaliste ? Il a réussi cette protection-là, jusqu'au moment où il casse sa plume ce 12 avril aux premières heures de la matinée à l'hôpital central de Yaoundé après deux jours de maladie.

Repères
- 25 juin 1955 : naissance à Nyamsong (Bafia)
- 1978 : Maîtrise en Sciences sociales et en communication (Université Libre de Bruxelles)
1982 : lancement de Perspectives
- 1990-2001 : président de l'Union des - Editeurs de presse d'Afrique
- Père de 4 enfants
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