Musique : Quand la production grince


La piraterie mise à l'indexe par les producteurs et artistes du Bikutsi.
Justin Blaise Akono

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"Pour produire un bon album, il faut prévoir huit à dix millions Fcfa", lance Ange Ebogo Emérent. Le chanteur, présent sur le marché du disque depuis le début des années 80, semble avoir une très bonne idée de la production, pour avoir produit lui-même trois de ses albums. Il avoue que c'est une déception. "Mais, je suis prêt à recommencer, car il s'agit de ma carrière. Tout est fait dans ce pays pour décourager les artistes. Mais les albums sortent toujours", s'en vante-t-il. Tout un procès est fait contre les producteurs souvent traités de simples marchands de disques. "Lorsqu'un producteur s'engage, sa préoccupation première est de savoir s'il va rentrer dans ses frais", se plaint Michel Sagath du club Sagath, dont la personne la plus connue est le chanteur Racine Sagath.

Selon la plupart des artistes, certains producteurs ont des préférences pour certains rythmes musicaux; d'autres produisent sans exclusive, "parce qu'ils veulent vendre". Ainsi, les rapports entre les artistes et les producteurs ne sont pas toujours des plus cordiaux. Ils se rejettent mutuellement les torts. Les premiers accusant les seconds cupides. Les producteurs rétorquent que les artistes sont ingrats. Claude Tchemeni, dit Cloclo, qui a régné dans les milieux du Bikutsi il y a 15 ans, se plaint que la musique l'a appauvri. Le directeur général d'Ebobolofia Productions déclare : "Je fais partie des producteurs qui ont le plus travaillé pour que le bikutsi devienne une musique internationale. Malheureusement, je n'ai reçu qu'ingratitude et le bikutsi, je dois l'avouer, m'a appauvri".

Contrats
Si la plupart des artistes se plaignent en catimini, Aïe Jo Mamadou rapporte cependant qu'il n'a jamais eu de problème avec ses producteurs. "Le Lion Blanc" indique qu'il a toujours signé les contrats et perçu ses cachets avant d'entrer en studio pour enregistrer l'album. Il révèle qu'il y a des artistes, dans le milieu du Bikutsi, qui signent des contrats de 5.000.000 Fcfa. Il existe alors deux types de contrat : un contrat sur le pourcentage des ventes et un contrat de cession de la bande. Pour le premier cas, la relation entre les artistes et les producteurs finit toujours en queue de poisson. Pour le deuxième cas, il est prévu que le producteur assure la promotion et les spectacles. Autre raison des scènes de ménage entre artistes et producteurs.

Interrogé sur le sujet, le bassiste Jean Dikoto Mandengue estime que la production musicale est embryonnaire au Cameroun. "La production est toute une machine, un réseau qui englobe plusieurs métiers. Ici, j'ai remarqué que les chanteurs, après avoir composé leurs morceaux doivent encore se battre pour trouver un producteur. Un petit chanteur tout seul ici n'arriverait jamais à mettre toute cette machine en branle. Tant qu'il n'y a pas de structures, d'organisation et d'idées que nous devons créer nous-mêmes, à travers la Cmc par exemple, on continuera dans la débrouille. Je le dis d'autant plus qu'il y a beaucoup d'argent à la Cmc qui n'est pas redistribué aux artistes. Si cela pouvait au moins contribuer à organiser la production, ce serait déjà pas mal", pense Jean Dikoto Mandengue.

Chaîne
Tout commence par le studio d'enregistrement. Deux millions à deux millions cinq cent mille Fcfa pour un bon enregistrement, selon Ange Ebogo Emérent. "Mais, il y en a qui le font à 500.000 Fcfa. Pour quelle qualité?", S'interroge-t-il. L'étape suivante consiste en l'impression des jaquettes, la duplication des cassettes (475 Fcfa) ou des disques compacts (1.000 Fcfa), l'acquittement des droits de reproduction mécaniques auprès de la Cameroon Music corporation (450 Fcfa pour les Cd et 150 Fcfa pour les cassettes) puis la promotion. "Elle est la partie la plus importante de la production d'un album", relève Brice Fouda Fouda, producteur de musique. Or, les artistes se plaignent des limites de la promotion. "Beaucoup d'albums marchent à Yaoundé, mais, ne sont pas connus à Mbandjock, à moins de 100 km de Yaoundé, car, souvent le volet promotion est négligé", souligne Ange Ebogo Emérent, qui précise que, la promotion a souvent fait défaut du fait de l'ignorance des artistes.

Selon lui, si l'éditeur permet une large diffusion de l'album, les retombées financières au niveau des droits d'auteur peuvent permettre, un temps, d'oublier les misères causées par la piraterie. "Seul le gouvernement peut mettre fin à ce fléau ", estime Michel Sagath. "Que le gouvernement n'aide pas seulement les artistes en leur donnant l'argent pour la production des albums. Où vont-ils les vendre quand les pirates règnent sur le marché?" Se demande Ange Ebogo Emérent, qui attire l'attention des pouvoirs publics. Michel Sagath suggère révèle que la piraterie prend souvent le dessus du fait des ruptures de stocks que les producteurs n'arrivent pas à estomper. la baisse des coûts de production, ce qui devrait logiquement entraîne une baisse du prix du Cd. Ce qui pourrait amener tout le monde à pouvoir acheter un disque de qualité à bon prix. Ce qui pourrait leur permettre de contourner la piraterie. Faute de pouvoir les chasser des rues de nos villes.
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