Les preneurs d'otage sèment la panique dans le Septentrion


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En trois ans plus de 143 éleveurs ont été  assassinées et 354 personnes séquestrées  dans la seule province du Nord.

...En deux mois donc, trois prises d'otages au même endroit pratiquement, 25 enfants séquestrés, plus de 30 millions extorqués aux éleveurs qui ont dû vendre leur capital ! N'oubliez pas ceci : les mots cheptel et capital ont la même origine. Autrement dit, dans une société paysanne comme la nôtre, la constitution d'un cheptel est le processus par excellence de capitalisation. S'attaquer au cheptel c'est donc détruire le capital de toute une communauté...

Monsieur le Directeur de publication,
Si je vous écris aujourd'hui, c'est pour dénoncer le silence quasi unanime qui entoure le phénomène de prise d'otages des éleveurs et de leurs enfants. C'est vrai qu'il y a eu de temps en temps quelques articles sur le sujet, dans tel ou tel organe de presse. Mais l'ampleur du phénomène aurait pour le moins mérité une véritable mobilisation des hommes de média, des hommes politiques et de la société civile. Vous le savez bien, le sort d'un petit anglais disparu en Espagne mobilise - à juste titre - les dirigeants et la presse de plusieurs pays et, même un paysan dans sa brousse du Mayo Kani est au courant de cette affaire. Alors, comment se fait-il donc que, dans notre pays, depuis plusieurs années, des dizaines d'enfants et de chefs de famille disparaissent régulièrement, sont égorgés comme des moutons ou libérés après paiement de fortes sommes d'argent à titre de rançons, sans que cela n'émeuve la classe dirigeante et les hommes des médias de ce pays et, a fortiori, d'ailleurs.
Ce qui me pousse à vous contacter, c'est la situation qui prévaut depuis particulièrement ces deux derniers mois dans le Mayo Louti, département dont le chef-lieu est Guider (Province du Nord). Le 21 août dernier, dans la zone de pâturage située entre les villages Bidzar, Bataw, Boudva, Djougui et Mokorvong, douze enfants bergers ont été enlevés par des bandits armés. Ils ont été conduits dans la brousse du lamidat voisin de Binder, au Tchad, à quelques kilomètres seulement de la frontière avec le Cameroun. Deux enfants ont été libérés pour porter les exigences des preneurs d'otages. Les 5 ou 6 parents des enfants devaient payer une rançon d'environ 15 millions de francs. Rendez-vous leur a été donné samedi 25 août 2007 à 10 heures, étant entendu que les éleveurs devaient vendre les animaux au marché de Guider, qui se tient tous les vendredis. Les parents se démerdèrent comme ils pouvaient et deux d'entre eux ont été délégués pour apporter une somme de 12 millions à la date prévue. Ils n'ont même aucune difficulté à retrouver la cachette des malfrats : ils ont suivi leurs traces laissées dans les herbes, en cette saison de pluies. Vers 17 heures, les enfants et les deux parents furent libérés.
Ce qui m'a le plus choqué dans cette affaire, c'est que, en quatre jours de crise, aucune autorité chargée de la sécurité et de l'administration des personnes et des biens ne s'est présentée auprès des parents en difficulté. En tout cas, pour le parent du village de Djougui où j'étais présent, je n'ai vu ni sous-préfet, ni gendarme, ni policier.
Forcément, ce laxisme des autorités étant bien compris par les bandits comme un encouragement, ils se permettent de revenir allègrement. C'est ainsi que le 2 octobre ils sont revenus et ont enlevé 5 enfants à Mokorvong et la semaine dernière, ils ont récidivé en prenant 8 autres dans le village de Guérémé que les parents ont libérés le 26 octobre contre 14 millions de rançons. En deux mois donc, trois prises d'otages au même endroit pratiquement, 25 enfants séquestrés, plus de 30 millions extorqués aux éleveurs qui ont dû vendre leur capital ! N'oubliez pas ceci : les mots cheptel et capital ont la même origine. Autrement dit, dans une société paysanne comme la nôtre, la constitution d'un cheptel est le processus par excellence de capitalisation. S'attaquer au cheptel c'est donc détruire le capital de toute une communauté.
Je sais que les autorités dans les petites localités comme Figuil ou Guider ont de sérieuses difficultés : manque de moyens logistiques, sous-effectifs dans les unités de Police ou de Gendarmerie. Mais ceci n'excuse en rien l'abandon total des populations à leur triste sort. D'ailleurs, c'est ainsi que les populations perçoivent la situation. J'ai entendu des gens dire : "ils étaient là il y a quelques semaines pour nous demander de voter pour eux ; maintenant qu'ils ont été élus, ils nous abandonnent lorsque nous sommes agressés". En effet, le manque de moyens ne peut être la seule excuse. Je m'en vais vous donner ce témoignage qui montre que si on a de la volonté, on peut agir, même avec de moyens modestes. Lorsque le phénomène de zarguina a commencé, c'était dans le département du Mbéré. Feu Maïdadi Sadou était Préfet à Meiganga. Un jour, la nouvelle tombe, vers la mi-journée, annonçant une attaque d'un car de transport public par des bandits armés. Ils avaient blessé un gendarme qui s'y trouvait. Maïdadi rentra au domicile, enleva sa gandoura et mit la tenue de commandement. Il revint au bureau et convoqua une réunion de crise. Tous les responsables mêlés de près ou de loin à la question de sécurité, y compris les chefs traditionnels, prirent part à cette réunion. Il y fut décidé illico presto de réquisitionner tout car traversant la ville de Meiganga. Tous les éléments des forces de sécurité furent embarqués et, à la tombée de la nuit, Maïdadi en personne, malgré ses 70 ans passés, prit la tête des troupes, fusil en bandoulière. Ils sillonnèrent la brousse pendant 3 jours à la poursuite des malfrats. Je me demande donc si le pouvoir de mobilisation des dirigeants d'aujourd'hui a disparu. Pourquoi demande-t-on aux populations de se défendre comme si nous n'avions pas une organisation étatique moderne avec des forces chargées de renseignements et de mettre hors d'état de nuire les sujets qui veulent troubler la tranquillité des citoyens ?
La situation qui prévaut aujourd'hui (en réalité depuis quelques années) dans le Mayo Louti n'est pas spécifique à ce département. Cette forme d'insécurité qui met à mal l'élevage et l'agriculture avait commencé par le Mayo Rey et a gangrené toute la province du Nord et, en vérité toutes les zones d'élevage du gros bétail. Les éleveurs centrafricains fuyant devant le phénomène dans leur pays s'étaient massivement réfugiés dans les départements frontaliers du Cameroun, croyant y trouver la paix. Pourchassés dans leur refuge, nombreux sont ceux qui ont continué leur exode vers le Nigéria, en même temps que des éleveurs camerounais harcelés en permanence. Les responsables des services de l'Elevage dans la province du Nord ont déjà tiré la sonnette d'alarme en produisant un rapport édifiant sur le problème, daté du 20 juin 2007. En trois ans, ils ont recensé des dégâts presque inimaginables dans ce pays :
- plus de 143 éleveurs tués ;
- 354 personnes séquestrées ;
- 1 milliard 350 millions de rançons payées ;
- 7 villages dans le Mayo Rey déplacés;
- plus de 200.000 têtes de bétail sortis de la Province du Nord vers le Nigéria;
- diminution de l'offre des bovins sur le marché de 50% ;
- et, en conséquence, une hausse du prix de la viande de 1.100 F à 1.700 F à Garoua.
Il me semble qu'un tel rapport devait bouleverser tous les dirigeants de ce pays, à quelque niveau qu'ils soient. Pourtant, un jour que j'en parlais avec un député de la nation, il paraissait "découvrir" ce phénomène pour la première fois !
J'en appelle donc à vous, hommes des médias, pour que vous fassiez bouger les choses, que vous réveilliez les consciences endormies. On ne peut pas rester impassibles devant ce qui est un véritable désastre national. Des vies ôtées, des fortunes détruites, tout un secteur de l'économie ébranlé. Je souhaite que vous meniez des enquêtes approfondies en zones sinistrées et que vous engagiez une vaste campagne médiatique pour une prise de conscience de l'ampleur de l'insécurité en zones rurales et une réaction appropriée. Je suis sûr que les Pouvoirs publics ont la capacité de mettre fin à ce phénomène, s'ils le voulaient. De petites bandes armées ne peuvent pas dépasser une armée, une police, une gendarmerie d'un pays comme le Cameroun. Pourquoi le Chef de l'Etat ne ferait-il pas une communication spéciale à la radio et à la télévision pour dire clairement qu'il est décidé à mettre fin à l'insécurité en milieu urbain et dans nos campagnes ? S'il tape du point sur la table, les forces de sécurité, les autorités administratives en tête, se débrouilleront pour qu'on dorme tranquille au moins pendant deux ou trois mois, et pourquoi pas, enrayer le phénomène ou le réduire à un niveau compatible avec une vie normale des citoyens. Cela j'en suis sûr.
Je compte sur votre sens de patriotisme et votre professionnalisme pour aider les populations en détresse.
Veuillez recevoir mes salutations les meilleures.


Dr Albert Douffissa
Vétérinaire

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