
Madame le Ministre,
Je viens respectueusement par la présente, vous dire mon indignation, ma déception et toute ma frustration face à la politique de votre ministère quant au traitement réservé à une génération d’artistes qui, bien qu’œuvrant corps et âme pour le rayonnement de la culture camerounaise et qui par ailleurs, contrairement à ce que certains veulent vous faire croire, sont de nos jours, les véritables praticiens de la culture et qui malgré tout, ne sont pas pris en considération, sans doute du fait de leur jeunesse.
Madame la Ministre, lors de la réunion que vous avez organisée à l’Hôtel Hilton de Yaoundé quelques temps après votre nomination, il nous était clairement apparu que vous vouliez que nous, artistes, produisions des œuvres compétitives à l’échelle internationale et que le soutien de telles initiatives serait l’une des priorités de votre ministère. Malheureusement, force est de constater que sur le plan national comme à l’international, nous restons des laissés pour compte sans parent, ne sachant à quel saint se vouer. Ce désintérêt total de mon ministère de tutelle, j’ai pu moi-même le vérifier quant à ma participation aux Grands Prix Afrique du Théâtre Francophone.
Les Grands Prix Afrique du Théâtre Francophone sont une compétition mettant en jeu des prix dans tous les domaines et disciplines liés au théâtre. Ils sont ouverts aux hommes et femmes de théâtre des 23 pays francophones au Sud du Sahara. Ce sont des distinctions analogues aux trophées Koras de la musique africaine et visent à distinguer annuellement les professionnels africains des planches, afin de les hisser au pinacle comme cela se fait dans d’autres domaines et filières artistiques de part le monde.
En effet, j’ai été avec M. Emery Noudjiep Tchemdjo un autre camerounais, nominé pour la première édition de cet évènement qui devait se tenir du 11 au 14 décembre 2008 à Cotonou au Benin. Les organisateurs nous ayant au préalable informés qu’ils prendraient à leur charge notre hébergement ainsi que notre restauration sur place et que le transport international était à la charge de chaque nominé, le lendemain de notre sélection, soit le 02 octobre 2008, nous avons constitué et déposé un dossier commun afin de solliciter un soutien de notre ministère pour l’achat de billets d’avions et d’autres détails relatifs au voyage. Ledit dossier (Référence N° : 95141 a été transmis à la DASEC (Directions des Arts, des Spectacles et des Entreprises Culturelles) situé au bâtiment A du ministère des finances où il aurait atterri sur la table de Mme Emilienne NGOUTOUGA, ancienne chef de service des associations, des industries et entreprises culturelles, aujourd’hui directrice des bibliothèques et de la promotion de la lecture. Notre dossier perdra sa trace sous les auspices de ce haut cadre du ministère si bien qu’à trois jours de notre départ, nous n’avions et ce jusqu’à ce jour, aucune suite à sur notre demande de soutien. Même la demande d’audience que nous avons sollicitée depuis le 20 novembre (Références N° : 0984 afin de vous rencontrer et vous présenter la situation est res Madame la Ministre, face à cette position d’extrême urgence à laquelle nous étions confrontés, nous voilà mon collègue et moi, de nous endetter sans espoir de remboursement, afin d’aller coûte que vaille défendre l’honneur de notre pays. Faute d’argent suffisant, nous voilà contraints de nous lancer dans une aventure périlleuse par voie terrestre, avec tout ce que cela comporte comme risques. Nous voilà chevauchant la mer sur des pirogues à moteur à la sécurité incertaine, traversant le Nigéria en nous faisant arnaquer ça et là, dormant à même le sol dans des agences de voyage car, ne pouvant nous offrir le luxe d’un hôtel ou d’une auberge. Nous voilà, pataugeant clandestinement dans des pistes boueuses agrippés aux motos des passeurs, parce que la modique somme dont nous disposons ne peut nous permettre de prendre des visas en bonne et due forme. Nous arrivons enfin au Benin après 72 heures de route alors que Douala est à peine à 1 heure 15 minutes de vol de notre destination. Nous arrivons à Cotonou les corps endoloris et puants, après avoir passé trois jours sans prendre le moindre bain et sans avoir véritablement dormi. Ce calvaire, nous le vivons à l’aller comme au retour quand les autres délégations venues de pays moins éloignés du Benin que le Cameroun arrivent dans le confort des avions, parce que soutenus par les ministères de la culture de leur pays.
Excellence, je m’en vais vous donner un extrait de la lettre aux nominés qui nous avait été adressée et que je suis sûr, vos collaborateurs qui auraient reçu notre dossier n’avaient pas pris la peine de lire :
« Nous vous prions d’apporter en venant à Cotonou : Deux photos d’identité, un drapeau de votre pays, un CD audio d’une musique authentique et traditionnelle de votre pays […] et de vous habiller lors de la soirée de gala, d’une tenue traditionnelle spécifique de votre pays… »
Je crois Madame la Ministre, que le CD en question n’est pas le CD d’un musicien de ma famille ; que la tenue traditionnelle en question n’est pas une tenue traditionnelle étrangère tout comme le drapeau qui nous est exigé n’est pas le drapeau de notre village. Non, ces éléments sont des éléments propres au Cameroun et à sa culture.
Lors de ladite soirée de gala, j’ai été désigné comme lauréat. Oui, Madame la Ministre ! Sur 512 candidats au départ et 52 nominés sélectionnés parmi les représentants des 23 pays en compétition, j’ai été élu champion de la catégorie Meilleur Auteur.
En allant recevoir ce trophée que j’ai pu offrir à mon pays le Cameroun parmi les 14 trophées en compétition, n’est-ce pas le théâtre camerounais qui était ainsi couronné ? En portant sur mes épaules pour recevoir mon prix, le drapeau vert rouge et jaune, n’est-ce pas hisser les couleurs de mon pays aussi haut que je peux ? En m’habillant pour l’occasion d’une tenue du Sud-ouest du Cameroun, n’est-ce pas vanter orgueilleusement la culture de mon pays ? En recevant mon prix cette soirée du 13 décembre devant public, micros, appareils photos et caméras alors que le palais de congrès de Cotonou vibrait au rythme d’un Bikut-si de l’artiste camerounaise Lady Ponce, n’est-ce pas exporter la culture camerounaise et la hisser au plus haut de l’Olympe ? Lorsque des années avant cette distinction, je recevais le pris du concours 2000 poèmes pour l’an 2000 du Centre Culturel Français de Saint-Louis au Sénégal, la médaille d’or du Bleuet International et le diplôme d’honneur de la ville d’Essars-les-Béthune au Pas de Calais en France et que plus tard je fus finaliste du Prix du jeune écrivain francophone, n’est-ce pas au nom du Cameroun que je fus distingué à l’échelle internationale ?
Malgré tous ces sacrifices que nous faisons Madame, malgré tous ces efforts menés afin que le nom du Cameroun résonne toujours au panthéon parmi mille nations, pourquoi n’avons-nous pas l’attention à laquelle nous avons droit ? Est-ce là le soutien que vous nous promettiez à votre arrivée ? Nous sommes-nous trompés en espérant qu’avec votre arrivée à la tête de notre ministère les choses allaient enfin changer ?
Lorsque nous entamions nos démarches en octobre, tous les responsables du ministère considéraient notre sollicitation avec désinvolture à cause soi disant du FENAC qui était en préparation. Madame la Ministre, est-ce normal qu’à cause d’un évènement tel que le FENAC tout le reste des activités culturelles en souffrent ? Tout le ministère allait-il se déporter à Maroua ? Tout le personnel d’un ministère allant du plus haut cadre, au bas de l’échelle peut-il être impliqué dans l’organisation d’un seul évènement de telle sorte qu’on ne puisse plus gérer les affaires courantes dont l’urgence est signalée ? Tous les artistes camerounais ne peuvent pas être impliqués dans la même édition du FENAC et pourquoi ceux-là doivent-ils être pénalisés alors que de leur côté ils doivent aussi faire vivre l’art ?
Parlant du FENAC, les artistes de renommée internationale qui y étaient annoncés en grande pompe n’ont-ils pas droit à la plus grande attention parce qu’ils sont des ambassadeurs de la culture camerounaise à l’extérieur ? Avec notre nomination à une compétition internationale, n’est-ce pas entamer la même démarche ? Comme eux, nous voulons faire mentir le dicton qui dit que nul n’est prophète chez soi et être des prophètes chez nous. Chaque jour nous œuvrons pour cela la preuve, même à partir du terroir, nous allons rafler des trophées à l’extérieur et les ramenons au pays mais à quel prix ?
Excellence, lors de nos multiples voyages, nous sommes éblouis par la manière dont les artistes sont traités ailleurs malgré tout, nous avons choisis de rester chez nous. Comment devons-nous encore exprimer notre amour pour ce pays ? Pourquoi voulez-vous nous pousser vers la porte de sortie, nous artistes camerounais qui avons fait le choix de travailler et de vivre ici ? Pourquoi voulez-vous qu’on Lors de nos démarches, il nous avait été laissé entendre par un de vos proches collaborateurs qui avait eu vent de notre dossier, l’inspecteur général N°1 Mr LOBE Joseph, qui nous avait verbalement rassuré que la procédure suivrait son cours et qu’on devait autofinancer notre déplacement afin de se faire rembourser plus tard par le ministère. J’imagine que pour ceci, il faudrait bien sûr apporter des pièces justificatives. Madame la Ministre, cela est-il évident lorsque notre ministère nous fait voyager dans des conditions aussi horribles ? Comment justifierons-nous un voyage aussi périlleux ? Avec quels reçus justifierons-nous la traversée sur des embarcations de fortune ? Avec quelles factures justifierons-nous les milliers de Naïras restés dans les poches des policiers nigérians ? Comment prouverons-nous les fortes sommes que nous donnions aux passeurs pour nous faire traverser clandestinement les frontières ?
Bien sûr, il faudra aussi compter avec les lenteurs administratives et le mépris des fonctionnaires incultes qui pullulent au ministère de la culture. Ces messieurs et dames qui nous reçoivent avec condescendance en croyant que lorsque nous sollicitons le soutien du Mincult, nous mendions une quelconque manne et qui ne savent pas que c’est un droit que nous revendiquons. Madame la Ministre, ces gens qui vous entourent devraient savoir que c’est grâce à nous qu’ils ont leurs salaires tous les mois. C’est nous, avec nos dread lucks, nos jeans délavés, nos airs de défroqués et nos looks de voyous qui leur permettons d’avoir ces bureaux climatisés et ces voitures dans lesquelles ils roulent. Il faut qu’ils arrêtent de nous mépriser parce que sans le travail que nous abattons sur le terrain, le ministère de la culture n’existerait pas. Sans les artistes, pas de ministère de la culture.
Veuillez comprendre Excellence, que ma démarche vise à vous informer en contournant vos collaborateurs véreux, car s’il y a une chose dont je reste convaincu, c’est que vous êtes très mal entourée et s’il faudrait ôter la crotte qui souille notre ministère, le ratissage devrait s’effectuer pour être modeste, à ordre de 99%. C’est eux qui créent un mur de béton entre vous et nous. Ils nous empêchent d’accéder jusqu’à vous, ils savent comment et pourquoi. Cette démarche vise également à éviter que cette lettre ne subisse le sort que sans doute ont subis notre dossier et notre demande d’audience c’est-à-dire, disparaître dans une poubelle ou dans un WC.
En espérant que vous comprendriez cette frustration effective que nous, jeunes artistes, ressentons alors que nous sommes disposés à travailler toujours pour notre pays, recevez Madame la Ministre, l’expression de ma plus grande estime et mes vœux les meilleurs pour la nouvelle année.
Ecrivain, grand prix Afrique du théâtre
francophone 2008
Ambassadeur des Grands
Prix Afrique du Théâtre Francophone
Pour le Cameroun