Des leçons qui viennent du Gabon


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Jeudi 3 juin 2004. Cela faisait à peine 5 jours que le président Paul Biya avait quitté le Cameroun pour un "bref séjour privé (quelque part) en Europe ". A priori, cela ne préoccupe personne tellement les compatriotes du président de la République sont habitués aux vacances européennes de leur chef d'Etat. Ce jour-là, une rumeur persistante annonce que le chef de l'Etat serait décédé à Genève en Suisse. Du coup, la rumeur traverse le pays dans les quatre sens. Une panique à peine dissimulée s'empare des foyers du pouvoir : à l'Assemblée nationale, son président, Cavayé Yeguié Djibril, bien que n'étant pas en place à Yaoundé, prescrit des instructions à l'emporte pièces à ses collaborateurs au cas où… l'ambiguïté des textes constitutionnels l'obligeraient à assumer des hautes fonctions. Heureusement, cette rumeur n'en était qu'une de plus au Cameroun.

Pourquoi avons-nous eu ces frayeurs? La constitution du Cameroun qui est entrée en fonction depuis le 18 janvier 1996 prévoit en son article 6 que le président de la République élu pour un mandat de 7 ans renouvelable une fois, serait remplacé par le président du Sénat au cas où, pour une raison ou une autre, il ne serait pas en mesure d'assumer ses fonctions. Cela pourrait être des suites de décès ou de démission. Or, dans la réalité, le Sénat est virtuel par l'Assemblée nationale qui, en jouant ce rôle à lui conféré par défaut, ne saurait se substituer à cette chambre dont les fonctions bien qu'électives, cadreraient mal avec celles des députés tout aussi élus. Cette ambiguïté, la loi fondamentale du Cameroun la traîne par le bon vouloir de son principal dirigeant depuis qu'elle est entrée en vigueur il y a plus de 13 ans.

A l'annonce du décès du président Bongo, les analystes politiques et ceux qui s'intéressent au Gabon ont prédit des lendemains politiques incertains. L'apocalypse annoncée pour ce pays ne repose que sur le préjugé de l'immaturité politique qu'on prête à ses dirigeants, et à l'accaparement du pouvoir par Bongo qui n'aurait jamais voulu de son vivant, préparer un dauphin. La réalité semble être ailleurs: En effet, la constitution que laisse Omar Bongo Ondimba a été promulguée le 19 août 2003, soit 7 ans après celle du Cameroun. Elle a inscrit dans son contenu le passage du mandat présidentiel de 5 à 7 ans ; une Cour constitutionnelle, un conseil d'Etat, une Haute cour de justice, une Cour des comptes, un Sénat… L'article 13 de cette constitution prévoit qu'en cas de vacance du pouvoir constatée par la Cour constitutionnelle, le président du Sénat assure l'intérim ; il organise les élections dans un délai maximum de 45 jours sans qu'il se porte candidat.

Voilà le contexte institutionnel et démocratique dans lequel intervient la mort de Bongo Ondimba. Il est sans ambiguïté et sans équivoque. Il ne reste plus que de faire appel au sens civique des militaires et au niveau élevé du comportement démocratique des politiques de ce pays. On ne saurait reprocher à Bongo de n'avoir pas doté son pays d'instruments démocratiques et constitutionnels pour lui assurer un fonctionnement harmonieux. Des esprits chagrins et non démocrates clament honteusement haut et fort que Bongo n'a pas préparé son dauphin comme cela se fait en monarchie. Ce qui se passe en ce moment à Libreville au cours de cette période de transition est significatif pour dérouter les démons, surtout Occidentaux, qui ne voient que le mal partout en Afrique. Mme Rose Francine Rogombé Etomba, présidente du Sénat, a pris ses fonctions sans menaces. Tout laisse à penser que la transition se passera sans le déluge redouté.

On en vient à se poser des questions qui taraudent dans la tête de chacun de nous, mais que personne n'ose poser sur la place publique : qu'est-ce qui peut expliquer qu'au Cameroun, de puis 1996, on n'ait pas mis sur pied des instruments prévus par la constitution? Ce comportement que rien ne justifie n'est pas une volonté délibérée de préparer le chaos après Biya dans la mesure où des forces antagonistes se livrant à des interprétations des textes constitutionnels, en viendraient involontairement à solliciter l'arbitrage de l'armée sans exclure de passer par un bain de sang ? Il revient à chacun de nous, d'utiliser toutes les armes intellectuelles dont nous disposons pour éclairer l'opinion sur la vacuité de nos textes institutionnels, et le risque auquel leur interprétation nous expose en cas de vacance du pouvoir
Nous avons érigé le slogan qui voudrait que "le Cameroun soit le Cameroun " en dogme. C'est-à-dire tout ce qui identifie ce pays en mal. Les modèles qui réussissent ailleurs ne nous intéressent pas. Les institutions du Cameroun ont été volontairement bloquées par ceux à qui le bon fonctionnement ne servirait pas. Avec un sursaut d'honneur, de patriotisme et d'orgueil, on suivrait les leçons de démocratie qui nous viennent du Gabon.

De Xavier Messè

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