"La traite négrière, point de vue des victimes"


Jacobin Yarro, directeur artistique, metteur en scène et comédien.

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Quels sont les thèmes que vous préférez aborder lorsque vous vous penchez sur la rédaction d’un texte dramatique ou l’adaptation scénique d’une œuvre théâtrale comme « Tombeau » de Leonora Miano ?

Une représentation théâtrale n’est pas comme une séance de psychanalyse collective… et pourtant… Je m’y sens quelquefois porté. Ce fut le cas avec la mise en scène de l’œuvre de Leonora Miano. « Red in Blue Trilogie. Tombeau ». J’emmène les spectateurs vers une introspection. Ce spectacle est une rencontre entre une auteure et un metteur en scène dont l’épanchement convoque les consciences sur « l’affaire non classée » de la Traite Transatlantique. La traite négrière transatlantique n’a jamais été traitée du point de vue des victimes. « Tombeau » de Léonora Miano est une proposition de texte théâtrale, « Parole Portée et Adressée », support idéal pour raviver les mémoires, créer une passerelle entre les différentes péripéties ainsi qu’un dialogue avec l’histoire.
L’évocation de la mémoire de l’esclavage serait incomplète si elle n’intègre pas une problématique rarement évoquée, laquelle se trouve au cœur de l’œuvre de Léonora Miano, « Tombeau : Les trépassés de la traversée » dont les ossements jonchent le fond des océans et qui par conséquent n’ont jamais pu avoir une sépulture. Ce qui d’un point de vue de la spiritualité africaine est une interpellation lourde de conséquence. L’océan renferme pour ainsi dire, une part de nos douloureuses mémoires. Il y a là comme une requête qui vient du fond des océans. 

Qu’est-ce qui a motivé votre choix de mettre en scène « Tombeau » de Leonora Miano?
Cette pièce, « Tombeau », fait partie d’une trilogie, en fait il s’agit d’un texte en trois épisodes écrit par Leonora Miano. J’ai eu le déclic en 2015 lorsque j’en ai écouté des extraits pendant le festival d’Avignon. La thématique était d’une force et d’une telle originalité. C’est une accroche, la nouvelle lecture de l’histoire de la traite transatlantique. Je me suis dit que le jour que je tombe sur ce texte, il fera l’objet de ma prochaine création. Quand j’ai mis la main sur le texte en juin 2016, un peu comme Leonora, j’ai pensé que la douloureuse histoire de la traite transatlantique ne peut pas être considérée comme une affaire classée. Cette question ne s’est jamais posée du point de vue des victimes. La plupart des descendants n’ont pas vécu dans leur chair de manière vive cette traite. Leonora a cet avantage de poser véritablement la question, et ceci d’une manière très actuelle. 

Quand elle a été présentée en 2017, comment avez-vous abordé la mise en scène de cette pièce proposant un sujet toujours d’actualité ? 
J’ai voulu faire une mise en scène proche du théâtre documentaire, assez voisin du théâtre forum. La configuration scénique lors du conseil où se décide l’acceptation ou non du mort est telle que les comédiens sont dos au public. C’est le conseil de tout un continent. Cette décision se prend au nom symbolique du continent. Cette porte qu’on trouve au début de la scène, est l’élément scénographique central. Partout où il y a eu déportation, on a une porte de non-retour, qu’elle soit vraie ou symbolique. La pièce s’adapte parfaitement à l’esprit voulu pour le projet « Mémoires libérées », libérées du déni et de l’oubli. L’Afrique doit un jour, sur le plan anthropologique et spirituel, faire le deuil de ses enfants morts, en leur érigeant un tombeau symbolique.

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