Qu'est-ce qui explique le fait que, malgré son succès au Cameroun, le Bikutsi n'ait pas encore véritablement décollé sur la scène internationale, contrairement à d'autres genres musicaux Africains?D'une manière générale et professionnelle, cela est dû à son organisation. L'ambition du Bikutsi est très limitée à une audience captive, à l'investissement de sa production, sa diffusion et sa promotion. Celle-ci s'arrête dans les chaînes de télévision locales L'artiste mise sur un titre choc réalisé en toute vitesse. Une fois le public cible atteint, on arrête tout. Les autres musiques, elles, ont plus d'ambition.
Au regard de l'histoire de l'évolution du Bikutsi, on constate que c'est dans les cabarets que la plupart des grands artistes ont émergé. Pensez-vous que sans ces cabarets l'artiste n'est rien?
Je crois que le cabaret reste l'aliment principal du Bikutsi. En ce qui concerne les têtes Brûlées, un groupe que j'ai mis sur pieds au milieu dans les années 80, notre inspiration a changé lorsque nous avons été privés de bars. On voit que tous ceux qui produisent le Bikutsi en dehors de ce cadre, se retrouvent avec un rythme musical théorique, moins racoleur et moins dansant.
De nos jours, les cabarets ont du mal à accrocher comme cela a été le cas pendant les décennies 70 et 80. A peine ouverts, ils ont vite fermé. Pourquoi ce manque d'enthousiasme des artistes vis-à-vis des cabarets?
J'ai l'impression qu'il y a un grossissement du stock de stars en manque d'activité. Et pour se rappeler au souvenir des clients, ils viennent s'agglutiner dans les cabarets qui marchent. En général, c'est le lieu de tous les coups bas, qui vont du détournement des chansons jusqu'à des homicides, en passant par des affrontements divers. A cause de cette concentration de stars, il y a dévaluation de leurs prestations et par conséquent celle de leurs cachets.
Les cabarets n'ont-ils pas contribué à la valorisation du Bikutsi commercial au détriment des autres variantes de musiques traditionnelles Beti?
Personnellement, je pense que le Bikutsi commercial est le résultat d'un malentendu survenu dans les années 80 entre la production Bamiléké et les chanteurs de Bikutsi. Lorsque les premiers exigeaient des seconds une certaine standardisation de leur inspiration afin de répondre aux exigences de vente rapide et d'allégement des coûts de production. Un phénomène entretenu grâce à la galère et à la naïveté des artistes Béti.
On compte plus de 30 variantes du Bikutsi que certains traditionalistes souhaitent dissocier les unes des autres…
Nous ne pouvons pas tuer ce que nous servons. Le passage des instruments traditionnels aux guitares modernes n'a pas tué la musique. Je suis convaincu qu'apporter une variante n'est pas tuer l'objet mais simplement poser un jalon distinctif. C'est juste une autre façon de faire.
Autrefois, le Bikutsi était connu pour ses sujets dénonciateurs, aujourd'hui il est devenu érotique. Pourquoi ce revirement?
Pour des raisons d'intérêts personnels et de politique ordinaire, les artistes de ce genre musical, même en manifestant une attitude de rébellion, ont évité un engagement de politique d'opposition. Mais en revanche, ils ont choisi de choquer les bonnes mœurs.
Au regard de la situation actuelle, pensez-vous que le Bikutsi va encore résister longtemps à l'invasion des musiques étrangères?
Je pense que la pérennité de cet art est déjà assurée comme phénomène culturel majeur dans l'espace culturel Camerounais. Maintenant, en ce qui va concerner sa gloire, il faudra attendre des individualités. La relève est assurée.
Si on vous demandait de changer quelque chose dans le Bikutsi…
Ce que je peux dire c'est que chaque nouveau succès est différent du précédent. Tout pronostic serait risqué. Cependant, si les cabarets venaient à disparaître comme c'est la tendance actuellement, une certaine vitalité s'en trouverait émoussée.





