“Ce n’est pas par simple hasard que le gouvernement d’Ahmadou Ahidjo avait décidé de faire exécuter Ernest Ouandié à Bafoussam alors que sa condamnation avait été prononcé par le tribunal militaire de Yaoundé. Il fallait créer une psychose collective dans les esprits. C’est pour cela que vous voyez que les gens ici ont peur de manifester pour revendiquer leurs droits. Les gens ont même peur de s’engager dans un parti politique parce qu’ils craignent d’être tués.” A la veille des élections municipales de janvier 1996, Jean Michel Tékam, candidat sous la bannière du Psdc (Parti social démocrate camerounais) à la commune urbaine de Bafoussam, bat campagne autour de l’affaire Ouandié-Ndongmo. Il disserte sur le sujet autant qu’il rappelle à l’opinion qu’il se trouvait au rang des membres du comité international pour la libération de Ernest Ouandié. Dans presque tous les carrefours de la ville de Bafoussam, le message de l’actuel président du Pds (Parti pour la démocratie et le socialisme) suscite des conversations. C’est comme si les gens veulent se venger du spectacle désolant qu’ils ont vécu le 15 janvier 1971.
A l’aube de l’an 2008, ledit sentiment ne s’est pas totalement estompé. “Jusqu’à la dernière minute, nous ne croyions pas que le gouvernement allait faire exécuter Ernest Ouandié et ses camarades. Les gens pensaient qu’on pouvait les condamner à vie. C’était pour nous une grande surprise. On nous a fait sortir de l’école pour voir l’exécution des nationalistes. Dans la foule, on désapprouvait ce qui allait se passer, même les enfants comme nous. Il y avait en réalité un fort courant de sympathie pour les rebelles. C’est pour cela que dès que l’on a tiré sur Ernest Ouandié et ses compagnons, c’est comme si j’avais reçu une blessure au fond de mon cœur. La rafale avait blessé la tête d’une personne qui se trouvait au niveau de la paroisse du plateau de l’église évangélique ”, raconte Wanko Tchonla, commerçant à Bafoussam. Au moment des faits, il est élève à l’école Saint Joseph de la cathédrale. Il garde en souvenir la triste journée du 15 janvier 1971.
Mise en scène
Martin Kapnang, agent communal à la retraite, se souvient aussi de la mise en scène autour de l’affaire Ouandié. “ Nous savions que l’on avait arrêté les chefs maquisards. L’administration avait fait venir les gens même des villages environnants pour voir comment on devait tuer les maquisards. Mais les conditions dans lesquelles leur procès s’était déroulé semblaient toujours floues. Car dès que l’on avait annoncé l’arrestation de Ernest Ouandié et autres on savait qu’ils devaient être exécutés même si les plus grands avocats du monde intervenaient en leur faveur.”
En ce qui concerne les motifs réels de la condamnation à mort de Ernest Ouandié, le septuagénaire se trouve moins bavard. Il a presque les larmes aux yeux. Il se souvient seulement que Ouandié et ses compagnons étaient poursuivis pour avoir animé la rébellion dans la province de l’Ouest et le Moungo. En parcourant les “ Grand procès de l’Afrique contemporaine ”, on en sort avec une économie du procès de Ernest Ouandié : “ On reproche d’abord à l’accusé d’avoir constitué un comité révolutionnaire, au maquis fin 1961, et par la suite d’avoir rapidement pris contact avec l’abbé Ndongmo courant mars 1962, au pied du mont Lonako ”, rapporte-t-on dans l’ouvrage publié par Jeune Afrique en 1990. Par la suite, il fait mention de ce que Ernest Ouandié fut condamné à mort aussi pour de nombreux attentats et assassinats perpétrés de 1961 à décembre 1969. Tout comme il lui est imputé “ la mort des pauvres et paisibles villageois sans armes ” et “ des crimes contre l’économie.” Quel contraste avec les motifs du combat nationaliste ! défendent les militants upécistes.





